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peine, qu’informé de ce que va faire Topete, il interrompt sa cure et part pour Londres. A la gare, il rencontra, dit-on, La Valette, « Comment ! dit celui-ci, vous quittez Vichy, dont les eaux vous étaient si nécessaires, après quatre jours de cure ! Cela ne peut signifier que ceci : la révolution va éclater. Soit ! qu’elle éclate ! L’Empereur ne s’y oppose pas ; il exige seulement qu’on ne proclame pas roi le Duc de Montpensier[1]. » Grâce à la complicité d’un agent chargé de le surveiller, Prim échappe, à Londres, aux investigations de la police ; il refuse de s’embarquer sur un navire frété par Montpensier, prend passage, déguisé en domestique, sur un paquebot de la Malle des Indes, débarque à Gibraltar (17 septembre), gagne le vaisseau amiral Saragozza. Topete, désappointé de le voir, ne veut pas agir avant le retour des généraux relégués. Prim, au contraire, veut marcher sur l’heure : sans cela, il ne serait plus le premier. Après une nuit de discussion, il triomphe de la résistance de l’amiral, et, le 18 au matin, toute l’escadre s’avance majestueusement jusqu’au port de Cadix et se place en ordre de bataille à une certaine distance. Topete harangue les troupes ; Prim décrète l’insurrection, en prend le commandement, est reconnu par les officiers, et vingt et un coups de canon annoncent que doña Isabella a cessé d’être reine d’Espagne.

Le lendemain, Cadix était soulevé. Vers la nuit, les généraux, revenus des Canaries, débarquent et Serrano prend la tête du mouvement ; Prim passe au second rang comme il l’avait prévu. Serrano était un bon soldat, un politique avisé, ayant la connaissance des hommes et une pénétration éprouvée à discerner les bonnes chances et à les seconder avec un esprit de finesse et de combinaison. On était disposé à se mettre là où on le voyait aller, parce qu’on considérait qu’il était un présage de succès. Habituellement d’une placidité un peu indolente, il en sortait parfois sous l’empire d’une première impression par des vivacités intempérantes, dont il revenait vite. Il avait joui des faveurs d’Isabelle qui l’appelait son bonito[2], et il ne l’oublia jamais tout à fait, même lorsqu’il lui fut devenu très hostile. « Je la méprise et je

  1. Ce récit a été fait par Muniz et par Zorilla. Il se peut que La Valette ait ainsi parlé, sans donner à son langage une précision diplomatique. Mais il ne traduisait que sa pensée propre, et non celle de l’Empereur. Notre récit va le démontrer.
  2. Bon garçon.