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où tout se tient dans un si étroit rapport que rien ne peut se retrancher sans que tout soit perdu.

De ce que le panneau décoratif se développe sur une longueur impossible à embrasser d’un seul coup d’œil et enveloppe même parfois le spectateur, il suit encore une autre condition : c’est que le point de vue d’où il est considéré n’est pas unique. Le peintre ne l’impose pas au spectateur par les dimensions de son cadre : il le subit. Le spectateur se met où il veut, où il peut et, selon les côtés où il se place, il voit la peinture sous des angles tout différens. Il ne faut donc pas qu’elle contienne des lignes perspectives qui ne seraient justes que prises d’un seul point de vue, par exemple, des lignes partant du premier plan et s’enfonçant vers l’horizon, montant ou descendant vers le « point de fuite » — pas de colonnades en perspective fuyante, pas de maisons, pas d’allées, de balustres, de balcons, et même le moins possible d’objets géométriques vus en raccourci. Il faut, en un mot, que toutes les lignes longues, que tous les objets de grandes dimensions paraissent de profil et non de face, selon un plan perpendiculaire et non selon un plan quasi parallèle au rayon visuel ; que les choses défilent sur le mur et non qu’elles semblent en sortir ou s’y enfoncer. De la sorte, quel que soit le point d’où l’on regarde la décoration, ses lignes seront justes, car à mesure que l’on progressera le long du panneau, elles prendront d’elles-mêmes l’inclinaison en perspective convenable tout comme les lignes des plinthes ou du plafond. Ainsi, les deux premières lois du panneau décoratif : qu’il y ait partout quelque chose d’intéressant à voir et que cette chose puisse être vue de partout, n’ont rien d’arbitraire puisqu’elles sont, voulues par le rapport de noire champ visuel avec une surface qui dépasse de beaucoup l’étendue de ce champ d’impressions et elles sont impératives car, à moins de changer nos yeux, nous ne pouvons y échapper.

Décorer n’est pas faire disparaître. Il n’est pas, d’ordinaire, dans les intentions des constructeurs d’une maison de faire oublier qu’on est dans une maison, d’une salle qu’on est dans une salle, sous un plafond, entre des murs, et que cette salle est carrée, par exemple, ou oblongue, ou circulaire. Et ici, nous touchons à une troisième différence, qui est capitale, entre le tableau et le panneau décoratif. Car, dans un tableau, il ne s’agit nullement de décorer une surface et il n’y a aucun inconvénient à la faire disparaître. Au contraire, plus l’artiste fera disparaître l’impression d’un