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J’avais à peine terminé que nos avant-postes signalèrent l’ennemi. Le général Czongiery s’avança à la tête de deux bataillons d’infanterie, plusieurs sotnias de cosaques, de dragons et quatre pièces d’artillerie de campagne. Ils étaient 3 000 hommes et nous seulement 1 200.

Bientôt tout le monde fut sur pied, le Père Benvenuto ne tarda pas à paraître : « Mes enfans, dit-il, beaucoup d’entre vous succomberont aujourd’hui. A genoux, que je vous absolve et vous bénisse ! »

Tous les combattans s’agenouillèrent avec le prêtre, qui pria pendant quelque temps à voix basse, puis s’étant relevé : « Mes enfans, continua-t-il avec onction, je vous absous et vous bénis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit !

Amen, répondîmes-nous en chœur.

— Que chacun fasse son devoir, c’est tout ce que j’ai à dire en ce moment à des patriotes qui veulent affranchir notre chère et sainte Pologne.

Les soldats allèrent silencieusement prendre leur rang de bataille. Le général Zaremba devait prendre le commandement en chef.

— Ce qui va nous faire le plus de mal et paralyser nos opérations, dit-il, ce sont leurs canons ; sans l’artillerie nous vaincrions.

Le comte Suchoszewski, alors capitaine de tirailleurs cracoviens, s’avança :

— J’irai enclouer leurs canons, général, dit-il. Y en a-t-il parmi vous deux cents qui veulent mourir avec moi ? Qu’ils fassent le sacrifice de leur vie pour le salut de tous.

Mille hommes s’offrirent, là où il n’en fallait que deux cents, et pourtant, ils le savaient, ces deux cents allaient mourir jusqu’au dernier.

— Eh bien ! dit le général, nous sommes cent vingt dizaines, qu’on en tire vingt dizaines au sort.

Quelques instans après, les vingt dizaines favorisées par la fortune de l’héroïsme se séparaient du corps principal et formaient autour du vaillant capitaine la phalange de la Mort. Charles pleurait de n’avoir pas été choisi.

— Soyez tranquille, lui dis-je, aujourd’hui nous serons tous favorisés.

Le général prit alors ses dispositions de combat. Il recommanda de ne pas tirer un coup de fusil avant que l’ennemi fût à