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renchérirent beaucoup aux temps modernes ; tandis que la paie des gens de guerre, très élevée aux temps féodaux tombait à peu de chose aux derniers siècles. Or le soldat de Louis XIV était, suivant une définition humoristique de l’époque, « un homme qui, sans être criminel ni philosophe, tue et s’expose librement à la mort. » Un temps où l’épée du soldat est plus chère que le glaive du bourreau, est un temps où le courage est moins banal que la cruauté. Mais quand la société se voit forcée de récompenser d’un prix beaucoup plus haut celui qui tue en son nom, sur l’échafaud, que ceux qui se font tuer pour elle, sur le champ de bataille, c’est qu’elle a gardé le courage en se dépouillant de la cruauté ; puisque ses citoyens consentent à risquer leur vie plus volontiers qu’à donner la mort de sang-froid.

Le bon marché des supplices, du XIVe au XVIe siècle, nous fait augurer que c’était une sorte de « main-d’œuvre » qui se payait ni plus ni moins que toute autre, suivant le temps et les frais accessoires qu’elle exigeait. De là, grande diversité des prix : lorsqu’il suffit d’enfouir vivant un voleur ou quelque femme « condamnée pour ses démentes, le salaire, pour creuser la fosse, n’est que de 3 fr.50 c ; » ailleurs il atteint 20 fr. y compris un achat de cordes. Au contraire, pour faire bouillir un faux-monnayeur — a les faux-monnayeurs, disait la loi, sont accoutumés à être bouillis » — il en coûte 160 fr., parce qu’il faut fabriquer un fourneau et faire emplette d’une chaudière appropriée qui vaut 135 fr.

Au XVIIIe siècle, les prétentions des bourreaux sont tout autres : la simple fustigation d’un criminel leur vaut une cinquantaine de francs ; la marque au fer rouge 70 fr. On les paie 250 fr. pour une pendaison. L’exécution d’un condamné au bûcher leur rapporte 670 fr., et ils gagnent 1.200 fr. à faire subir le supplice de la roue. Ceux-là étaient devenus plus susceptibles que leurs devanciers, puisqu’ils obtinrent, en 1787, un arrêt du Conseil d’Etat qui défendait « de donner le nom de bourreaux aux exécuteurs de la haute-justice. » Tout porte à croire que Rozeau, le petit Pennache, son aide, le fameux Jean-Guillaume et le Sr de Saint-Aubin, qualifiés à tour de rôle de « Monsieur de Paris » au XVII0 siècle, étaient praticiens distingués, mettant leur amour-propre à faire subir dans les règles les divers genres de supplice.

Leurs confrères de province n’avaient pas un égal respect de leur art. Il en était peu qui eussent quitté, comme « Monsieur