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la fois combien peu notre société miséricordieuse dépense par an pour l’application de la peine de mort, et combien cher lui revient en détail la guillotine pour fonctionner si rarement : 42.000 fr. ainsi répartis : gages des exécuteurs et de leurs aides 28.000 fr. ; frais des exécutions capitales 9.000 fr. ; secours alimentaires aux exécuteurs infirmes ou sans emploi, à leurs veuves et à leurs enfans 5.000 fr.

En regard de cette somme, le petit nombre d’assassins qui, suivant l’expression consacrée, « portent leur tête sur l’échafaud, » fait ressortir chaque déclic du couperet à un taux qui eût ruiné nos anciens justiciers, s’ils avaient payé aussi chèrement les besognes multiples de leurs bourreaux.

Méprisé, isolé des autres hommes, au point que, sur certains registres paroissiaux, on inscrivait, « à cause de la condition du père, » le baptême de ses enfans légitimes dans la partie du livre réservée aux enfans naturels, le bourreau n’avait guère de compensation d’argent au moyen âge : preuve qu’on n’en chômait pas, bien qu’il en fallut partout. Leur traitement annuel était de 300 fr. environ. A Dôle, Jean Terrible, au XVIe siècle, n’avait que 272 fr. de fixe. Au contraire, lorsqu’avec l’adoucissement des mœurs, le métier, sans devenir plus pénible, parut plus répugnant, il fallut le payer davantage : au XVIIIe siècle le bourreau de Dijon avait 2.550 fr. d’appointemens (1711) et celui de Nantes 3.400 fr. (1765).

Au salaire fixe s’ajoutait le droit de havage : une cuiller de fer blanc à la main, le bourreau allait sur le marché, prélevant son tribut sur chaque sac de grains, prenant aussi sa part de fruits, de poisson, de fromage et marquant au bras, avec un morceau de craie, ceux qui avaient acquitté l’impôt. Souvent il était habillé aux frais de la caisse communale : chapeau rouge à grand panache, costume de même couleur qui coûte jusqu’à 500 fr. Les bourgades voisines faisaient avec lui un abonnement ; à moins de le payer en politesses, comme l’hospice d’Angers, qui a droit de haute justice dans ses fiefs et a marché passé pour faire exécuter les sentences de ses juges par le bourreau, « gratis, sauf sa place à table avec le personnel de l’hospice ces jours-là. »

Tarifées ou traitées à l’amiable, les indemnités que touchaient ces personnages fort occupés variaient suivant la nature des supplices. Mais toutes étaient minimes au moyen âge et