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Parlement, on lit que « Me Talon, avocat-général, sera ajouté sur le rôle des personnes de Paris auxquelles il est envoyé des chapons. »

Comme le juge ne vit pas seulement de chapons, les plus délicats, les plus austères, parmi ceux qui séaient sur les fleur-de-lis, avaient fini par trouver tout naturel de vendre la justice ; tellement la force de l’habitude suffit à faire prendre une absurdité ancienne pour une institution respectable : « Puisque le prince est débiteur de la justice, écrivait La Roche-Flavin, président à Toulouse, il la doit fournir et rendre gratuitement et non pas faire acheter au peuple ce qui lui est . Mais ce discours serait bon en la République de Platon ; car en toutes celles qui sont à présent au monde (1630) la coutume contraire a, depuis longtemps, prévalu sur la raison. »

Nous autres, « gens de maintenant, » ne serions guère fondés au reste à nous trop enorgueillir sur ce chapitre vis-à-vis de nos anciens ; notre procédure civile de 1906, avec ses frais, ses complications et sa lenteur, — telle que les procès passent normalement deux ans au rôle du tribunal de la Seine, avant de venir à l’audience, — fera sourire nos arrière-petits-fils, lorsqu’ils auront enfin démantelé cette Bastille là. Néanmoins on a supprimé quelques abus depuis le temps où le cardinal de Richelieu, s’écriait : « La vénalité du détail de la justice monte à si haut prix qu’on ne peut conserver son bien, contre celui qui le veut envahir, qu’en le perdant, et pour le paiement de celui qui le doit défendre ! » Richelieu parla ainsi dans l’opposition ; il ne fut pas le seul. Au pouvoir, il oublia ses projets de réforme ; en quoi non plus il ne fut pas le seul.

La justice continue donc aujourd’hui de se vendre ; mais les juges de notre république n’ont plus droit au partage du bu lin fait sur les parties, et ce butin est moins rigoureux. Les tarifs d’il y a cent cinquante ans, lorsqu’on les examine en détail, ne paraissent pas trop élevés : 11 fr.25 c. pour un interrogatoire ; 2 fr.50 c. pour une confrontation de témoins… ; mais on ne s’y conformait pas toujours. Surtout on trouvait moyen de multiplier ces petits ruisseaux de manière à les transformer en avantageuses rivières. La plus futile sentence d’un tribunal de village contait 100 francs ; dans un siège important le meilleur marché allait à 400 francs. Aussi est-ce merveille de voir les sommes s’arrondir