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si l’on objecte que l’ancien parlement mérite plutôt d’être assimilé à la cour de cassation, nous pourrons noter que les avocats généraux et le procureur général y recevaient des gages de 23.500 fr. et de 19.000 fr., peu éloignés de ceux que reçoivent, en 1906, au parquet de la cour suprême, les successeurs des « gens du roi. »

Mais ces rapprochemens sont tout fortuits. Il ne peut être fait aucune sorte de comparaison précise entre les magistrats de Louis XIV ou de Louis XV et ceux de nos jours, au point de vue de la situation pécuniaire, pour deux raisons : la vénalité des charges et les épices. Il faudrait déduire, du traitement officiel qui leur était alloué, l’intérêt du capital déboursé par eux pour achat de leur office. Ce qui resterait de salaire proprement dit paraîtrait alors fort peu de chose.

En effet, sauf le premier président du parlement de Paris dont les émolumens fixes étaient de 90.000 fr., sauf le lieutenant-civil au Chatelet qui avait 28.000 fr., presque tous les traitemens de cette époque étaient inférieurs à ceux d’aujourd’hui. Par exemple les présidens à la Chambre des Comptes de Paris avaient 13.500 fr. et les conseillers-maîtres 9.250 ; tandis que les mêmes personnages ont25.000 et 18.000 fr. maintenant. En province, les conseillers de Parlement avaient de 4.700 à 5.600 fr. ; nos conseillers de cour d’appel ont uniformément 7.000 fr. Nos présidens de tribunaux civils jouissent d’un minimum de 5.000 fr. par an et vont, en quelques grandes villes, jusqu’à 10. 000 ; au XVIIIe siècle les baillis, sénéchaux, présidens de sièges présidiaux ne dépassent pas 3.750 fr. et descendent à des chiffres infimes ou dérisoires : 1.350 fr. à Besançon (1718), 700 fr. à Boulogne-sur-Mer et à Lons-le-Saulnier. En Provence, sous Louis XVI, il est des conseillers de sénéchaussée à 600 fr. par an. Ceux-là n’auraient pas eu l’intérêt de leur argent et les autres peu davantage.

Mais, à côté du salaire fixe et apparent, il y avait les « épices, » d’un profit inconnu quoique légal, levées par les juges sur les plaideurs. Les cadeaux bénévoles du moyen âge se transformèrent aux temps modernes en taxes obligatoires, sans que d’ailleurs les politesses volontaires eussent cessé : en Navarre, les jambons demeuraient le grand article de séduction vis-à-vis des magistrats dont on recherchait les bonnes grâces ; dans le centre c’étaient des confitures ; en Bourgogne quelque poinçon d’un crû renommé et, dans les registres communaux d’une ville du Maine, qui plaide au