Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A coup sûr, les soldes de jadis étaient très variables. Dans notre armée contemporaine, hiérarchisée, permanente, les officiers du même grade reçoivent tous la même somme et ils la reçoivent tous les ans. Au moyen âge, la bravoure, les talens militaires, avaient u : i « cours » comme les denrées ; et, comme les denrées aussi, un marché assez étroit parce qu’il était forcément localisé. De sorte que le prix des vertus guerrières subissait, suivant les lois de l’offre et de la demande, de grandes oscillations. Suivant que les campagnes se prolongeaient, que les besoins de soldats se développaient et que la mort en moissonnait davantage, la demande se multipliait. Mais aussi les combats répétés formaient des capitaines et faisaient surgir des offres plus nombreuses.

Aucun tarif d’ailleurs ne réglait ces libres contrats. Aux hommes d’armes que le prince engageait il donnait plus ou moins, et deux ou trois fois plus, suivant leur réputation, leur capacité reconnue ; comme aujourd’hui les directeurs de théâtre à leurs artistes ou les plaideurs à leurs avocats. De là vient qu’à des dates et dans des provinces très voisines, des guerriers, qualifiés de même, touchent des soldes très différentes. Quel que soit le chiffre de cette solde, elle était toujours très supérieure, non seulement aux appointemens que recevaient de leur temps les « civils » d’un rang analogue, mais aussi à la solde de nos officiers actuels.

Nos commandans de corps d’armée, qui sont les sénéchaux et baillis de provinces du XIIIe siècle, n’ont jamais comme eux 50.000 et 60.000 fr. Nombre de chevaliers, gouverneurs de places, touchaient le double de nos généraux de brigade. Les moins bien payés des « bannerets, » accompagnés d’un « pillart » et d’un page, avaient une solde de colonel — 8.500 fr. en Piémont (1355) ; 7.500 fr. en Bretagne (1346) ; 7.000 fr. à Perpignan. — Un « chevalier-bachelier » ne reçoit que 6.400 fr. ; mais le titre importe peu sans doute : des « écuyers » touchent 9.600 fr. (1382), 8.640 fr. à Toulouse (1253) ; les « cavaliers-servans du maréchal » 9.000 fr. (1231) et l’on en voit à la même époque, dans la même région, appointés à 8.000 et à 4.000 fr.

Des « hommes d’armes » il s’en trouve à 9. 000, 8.000 et 7.000 fr. ; il s’en trouve aussi à 2.000 et 3.000 fr. Sont-ils d’une qualité inférieure ? Sont-ils « bardés » ou « non bardés, » « avec destrier » ou « grand cheval, » ou simplement « avec coursier, » mouture commune et de moindre prix ? Sont-ils en campagne ou en