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les plus petits honoraires : les médecins, les ingénieurs, les avocats, les professeurs, les artistes renommés sont aujourd’hui dix et quinze fois plus payés, que ceux qui excellaient dans les mêmes branches il y a deux ou trois cents ans ; tandis que le commun des individus adonnés à ces professions gagnent seulement deux ou trois fois plus que leurs devanciers.

Enfin le partage des lots se fait aujourd’hui tout autrement que jadis. La place de chaque besogne, de chaque service sur l’échelle des traitemens a grandement changé. Ce ne sont plus du tout aux mêmes sortes de gens que vont les larges émolumens. En chaque siècle, deux influences ont présidé à la répartition : la loi de l’offre et de la demande a fait enchérir les gens que l’on jugeait les plus utiles ; les mœurs ont associé les plus hauts appointemens, naguère aux dignités les plus éminentes, maintenant aux capacités les plus rares.

Au temps féodal, la domination, ce que nous appelons le « gouvernement, » n’était point, dans l’idée des gouvernans ni des gouvernés, un « ministère, » mais une « propriété. » Le « roi » était plus que le « royaume, » comme le châtelain était plus que le donjon ; et ceux qui servaient le maître dans sa personne étaient plus que ceux qui le servaient dans ses biens. Puisque la personne du chef était tout, le service personnel était naturellement le plus noble de tous. C’est là ce qui explique que longtemps les plus hautes fonctions dans l’ « Etat, » furent de servir personnellement le roi et non pas de servir le royaume, de servir le roi à la chambre, à la chasse et non au prétoire ou au conseil. Le prestige de cette « puissance royale, » le cas que l’on en faisait, s’étendit a tout ce que nous nommons « emplois publics, » qui étaient des démembremens de ce métier du « chef, » commençant au roi et finissant au plus humble de ses agens.

De ces métiers politiques si divers et de plus en plus nombreux, que l’on exerça en son nom et pour son compte, le roi n’en retint pour lui qu’un seul : le « métier des armes, » suivant l’expression de nos aïeux. Il resta chef de guerre et, malgré toutes les révolutions et les changemens insensibles qui font ressembler si peu un souverain du XXe siècle à un prince du XIVe, le roi de l’Europe actuelle continue, lorsqu’il veut s’habiller en roi, de s’habiller en général et non point en magistrat ou en prêtre, comme les monarques de l’antiquité. Ainsi faisaient encore chez nous Louis-Philippe