Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mises en scène ne pouvaient faire peur qu’à ceux qui ne les connaissaient pas. À Paris, on en connaissait quelques-unes depuis longtemps, et on a été rapidement renseigné sur les autres. L’excessive opportunité du complot avait déjà paru suspecte : la qualité des conspirateurs n’a laissé aucun doute sur son véritable caractère. Mais le suffrage universel voit les choses de plus loin et plus en gros. S’il n’a pas positivement cru que la République avait été une fois de plus en péril, il s’est irrité qu’on eût voulu l’y mettre. Eh quoi ! les bonapartistes, les royalistes continuent donc de conspirer ? Ne pouvant pas renverser la République par les voies légales, c’est-à-dire par une manifestation électorale de la volonté populaire, ils emploient la ruse et la force ? Bien pauvre, la ruse ! Bien faible, la force ! Évidemment, le ministère était le premier à se moquer du complot ; mais il en usait, s’en servait, en profitait, se réservant d’en laisser tomber tout l’échafaudage dès que. les élections seraient terminées. Toute cette affaire a été conduite comme une opérette, mais comme une opérette dont aucun théâtre ne voudrait. Elle ne pouvait avoir qu’une représentation : encore ne la poussera-t-on probablement pas jusqu’au bout.

La police s’est montrée sous un air plus honorable pour elle le 1er  mai. Il y avait ce jour-là seize ans, si nous ne nous trompons, qu’on avait essayé, pour la première fois, d’en faire une journée révolutionnaire, non seulement à Paris et en France, mais dans le monde entier. Le 1er  mai devait être désormais la fête du travail, fête singulière, où il n’y aurait aucune joie, bien au contraire ! où tout serait menaçant, lugubre, sinistre. Le capitalisme devait y voir sa condamnation écrite sur les murs comme dans le fameux festin de Balthazar. Il y avait alors en France, un ministre de l’intérieur spirituel et énergique, M. Constans, qui n’a pas hésité à prendre des précautions très apparentes pour faire sentir aux manifestans que Paris ne leur appartenait pas, et que, s’ils usaient de violence, la force ne serait pas de leur côté. Des troupes nombreuses sont venues assurer la sécurité de la capitale, et, à l’exception de quelques bagarres insignifiantes, la journée s’est passée pacifiquement. Depuis lors, on a bien tenté quelquefois encore de faire tourner le 1er  mai en manifestation révolutionnaire, mais faiblement, il faut le dire, et sans aucun succès. Le précédent était créé, il n’y avait qu’à le suivre : c’est ce qu’a fait M. Clémenceau. Il a senti que le plus sage pour lui était de marcher sur les traces de ses prédécesseurs. L’initiative plus personnelle qu’il avait prise dans le Pas-de-Calais, et qui avait consisté à cacher l’armée de peur qu’elle n’offusquât la vue