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lui laisse, de se plier à la nécessité du jour, — elle s’est pliée à d’autres beaucoup plus dures dans l’histoire, — et de remettre à l’avenir le soin d’améliorer une situation qui, dans le présent, est plutôt exposée à empirer. Ce sont là, à la vérité, des conseils de la seule sagesse humaine : il est toutefois dangereux d’en faire fi, et ce qui s’est passé hier en est une preuve de plus.

On comptait beaucoup sur la réaction religieuse qui s’était, disait-on, produite dans le pays, pour influencer le suffrage universel et lui faire faire ce qu’on appelait de bons choix. Ceux qui doutaient de ce réveil subit de la foi religieuse étaient accusés d’aveuglement volontaire ou involontaire. Était-il possible qu’une loi aussi profondément révolutionnaire que la loi de séparation, qui touchait à tant d’intérêts divers, qui portait atteinte aux vieilles mœurs du pays, ne produisît aucun effet ? On ne voulait pas le croire, on ne le croyait pas. Nous ne le croyions pas non plus ; mais faut-il répéter une fois encore que l’application de la loi a été échelonnée par étapes successives, et qu’on n’arrivera à la première qu’après les élections ? Faut-il répéter que, le 6 mai, la loi a été inaperçue et insensible ? Faut-il répéter que le suffrage universel ne prévoit rien, qu’il se contente de voir, et encore qu’il ne voit que ce qu’il touche ? Nous ignorons ce qu’il pensera de la séparation dans quelques années, mais nous savons fort bien que, pour le quart d’heure, il n’en pense absolument rien du tout : elle est pour lui inexistante. Mais, disait-on, les inventaires ? Est-ce que le bruit qui s’est fait autour d’eux n’aura pas un écho dans la conscience des électeurs ? II est sûr que les inventaires n’ont pas produit un bon effet. Ils ne provenaient d’aucune mauvaise intention ; ils ne préparaient nullement la spoliation ; ils n’avaient aucun caractère de persécution. Mais, aux yeux de nos paysans, la chose et le mot sont déplaisans, et on pouvait les leur présenter comme inquiétans. Ils veulent, avons-nous dit, que le curé soit tranquille dans son église ; ils ont cru que les inventaires étaient une atteinte à ce principe ; ils ne les ont pas approuvés. Néanmoins, dans l’immense majorité des paroisses, ils les ont laissé faire sans s’en préoccuper davantage. C’est ce dont on n’a pas voulu se rendre compte. On n’a voulu voir, on n’a vu que la résistance matérielle qui s’est produite dans un petit nombre d’endroits, et l’imagination a érigé en règle ce qui n’a été qu’une exception, La résistance aux inventaires a été un fait local et non pas un fait général. Nous ne savons pas ce qui serait arrivé si le gouvernement avait persisté dans la voie où il s’était engagé. Le sang, qui avait déjà coulé, aurait probablement été répandu avec plus