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avait considéré jusqu’alors l’Afghanistan, — séparé de ses possessions par les vastes étendues de l’empire du Grand-Mogol, de la confédération mahratte, et de l’empire sikh, — comme trop éloigné de son rayon d’action et ne méritant pas à ce titre de fixer sa sollicitude.

L’indifférence de la Compagnie des Indes pour les hommes et les choses d’Afghanistan trouve aussi son explication dans la nature des idées qui dominaient alors en Europe sur le moyen d’assurer la sécurité de l’Hindoustan. Le maître européen de l’Inde n’appréhendait les attaques d’un ennemi que vers le Sud de la péninsule et du côté de la mer. La voie maritime était à ses yeux la seule route possible d’invasion, et le seul moyen de parer à ce danger lui paraissait être de se fortifier sur la côte de Malabar et de Coromandel et d’être maître de la mer. Chacune des nations européennes qui s’étaient disputé la suprématie dans l’Inde avait adopté cette manière de voir et en avait fait l’application à son profit. C’est ainsi que les Portugais, à peine débarqués à Calicut, s’étaient empressés de s’assurer la domination de l’Océan Indien par l’occupation du Cap de Bonne-Espérance, d’Aden et du littoral du golfe Persique ; que les Hollandais, qui leur avaient succédé dans la possession de l’Inde, les avaient remplacés également dans ces postes avancés ; que les Français, devenus maîtres d’une partie du Dekkan, s’étaient établis aux îles Mascareignes et à Madagascar ; que les Anglais enfin, après s’être emparés des établissemens français dans le Dekkan, songeaient à devenir les maîtres du Cap, de Ceylan et de l’île Maurice. Il est juste de reconnaître d’ailleurs que ces nations qui s’emparaient et se chassaient tour à tour de l’Hindoustan étaient toutes des nations maritimes ; qu’elles visaient le monopole du commerce, non la conquête totale du pays ; et que leurs divers établissemens avaient le caractère non d’un empire territorial et politique, mais plutôt d’un empire maritime et commercial, développé sur les côtes, peu étendu dans l’intérieur, et donnant, avec un minimum de dépenses de domination, le maximum de profits.

À la fin du XVIIIe siècle, Bonaparte, qui avait soumis l’Égypte et rêvait de la conquête de l’Inde, adopta tout d’abord les idées ayant cours. C’est en utilisant la voie maritime qu’il comptait, quand il était en Égypte, attaquer les Anglais dans l’Inde, et c’est de la côte de Malabar ou de celle de Coromandel qu’il