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l’indépendance, ni la loyauté. La direction en a été confiée à M. Adolphe Carnot dont le nom même est une garantie. M. le ministre des Travaux publics a donné à la Chambre l’assurance que toutes les responsabilités seraient recherchées, et toutes les sanctions que la loi met à la disposition du gouvernement appliquées : mais il fallait connaître d’abord les résultats de l’enquête. Tout le monde a été de cet avis. L’ordre du jour qui a été voté dans ce sens l’a été à l’unanimité. Le bon sens paraissait, pour une fois, avoir prévalu. Mais le lendemain un dernier revenant est sorti de la tombe obscure, et cette apparition a causé un renouveau d’angoisses. Les griefs contre les ingénieurs ont été exprimés avec une fureur de tempête, et, sans attendre davantage, le gouvernement a paru les adopter en ordonnant l’ouverture immédiate d’une instruction judiciaire. A quelque motif qu’il faille attribuer cette défaillance, manque de sang-froid ou manque de courage, le résultat a été ce qu’il devait être. Le gouvernement avait donné lui-même un aliment aux colères de la foule : il avait jeté non pas de la cendre, mais de l’huile sur le feu ! C’est en pleine effervescence de l’opinion ouvrière qu’a eu lieu le second référendum. On l’a accueilli en criant : Vive la grève ! Les meneurs, il faut s’y attendre, feront tous leurs efforts pour qu’elle dure jusqu’au 1er mai, et tout est à craindre pour cette date menaçante si elle ne s’apaise pas auparavant.

Sur ces entrefaites, il s’est passé à Fressenneville, près d’Abbeville, dans la Somme, un nouvel incident, plus grave encore que les précédens, parce qu’on ne saurait lui assigner aucune cause en rapport avec les désordres qui l’ont accompagné. Nous venons de chercher une explication à ceux qui agitent les esprits dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, et nous l’avons trouvée. A Fressenneville, nous y renonçons. Il y avait là une population ouvrière laborieuse, tranquille, qui gagnait des salaires suffisans, qui était bien traitée : on y a introduit un syndicat, et tout a changé aussitôt. Cela est arrivé ailleurs, mais nulle part avec cette soudaineté et cette violence. Nous sommes partisan de la loi de 1884 d’où sont sortis les syndicats ouvriers ; elle est légitime dans son principe ; mais il faut bien reconnaître qu’elle ne l’a pas toujours été dans ses applications, et que, s’il y a des syndicats animés d’un bon esprit, d’autres sont animés du plus mauvais. Le bon consiste à organiser la représentation des intérêts des ouvriers et à les défendre par les voies légales : le mauvais est l’esprit révolutionnaire qui fait des syndicats un instrument politique et l’arme par excellence de la lutte des classes.