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parmi les sibylles, il y en a d’inspirées, comme l’étrange Delphique ; mais j’en vois, que je n’aime guère moins (comme la vieille Cuméenne ou la jeune Erythrée), de sérieuses, paisibles et pensives. Les éphèbes aussi, les « ignudi, » forment comme un double chœur où des antistrophes plus calmes répondraient à des strophes plus éclatantes. « Le joyeux adolescent qui, au-dessus de Daniel, se prépare à la danse, témoigne des allégresses accidentelles. » Mais « le songeur attendri placé au-dessus de Jérémie rappelle les jours de vague mélancolie[1]. »

Enfin, sur les murailles latérales de la Sixtine, à la retombée de la voûte, on voit se dérouler encore un double rang de peintures, demi-cercles et triangles, que nous ne saurions trop contempler. Au-dessous des espaces où la vie se déploie, c’est ici la région, plus intime, où elle se recueille. Après l’épopée de la création, c’est le poème, plus tranquille, de la primitive humanité. Ici le mouvement est rare. Une seule fois un enfant, debout sur les genoux de sa mère, tente follement de lui échapper. Sa tête, son bras, son regard, tout s’élance par-dessus l’épaule maternelle. Il crie et ses cheveux se dressent. Il regarde, il désigne, il dénonce un prodige pour lui seul visible et qui l’épouvante. Mais nulle part ailleurs, ou presque nulle part, dans cette double frise, l’action n’ose troubler le mystère des gestes réservés ou des attitudes immobiles. Parmi ces personnages divers, il y en a qui sont en prière. Celui-ci, nonchalamment étendu, lit de loin un livre qu’un pupitre supporte. Une femme tourne lentement un dévidoir ; une autre berce, du pied, son enfant endormi.

Quant aux groupes qui remplissent les triangles, entre les Prophètes et les Sibylles, ceux-là surtout respirent une profonde paix. Chacun, figurant la trinité familiale, se compose d’un père, d’une mère et de leur enfant. Huit variantes renouvellent un thème unique sans l’épuiser et sans le contredire. Et ce thème deux fois est le sommeil et toujours il est le repos. Après les allégros'' triomphans de la symphonie de Michel-Ange, en voici les adagios sereins. Voyez ces deux femmes assoupies. L’une serre son enfant d’une étreinte à peine relâchée, comme si d’elle tout dormait, excepté son amour. L’autre, ployée en deux et retombée sur elle-même, admirable d’abandon et

  1. M. Émile Ollivier, op. cit.