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jour où ses gammes roulantes éclateront de nouveau sous le plafond de Michel-Ange, en les écoutant, nous regarderons là-haut. Alors nous comprendrons, nous sentirons encore mieux à quel délire en proie triomphent et semblent trépigner quelques-uns des jeunes hommes divins. Nous ne nous étonnerons plus si leurs mains secouent les festons de chêne avec une sorte de fureur sacrée, si leurs lèvres ont un rire étrange, et même farouche. Au paroxysme de la peinture, celui de la musique répondra.

Si l’une et l’autre elles se réjouissent, exultent ensemble, ensemble elles souffrent, gémissent et pleurent aussi. Elles sont bien nommées, les Selectissimæ modulationes de Victoria, chefs-d’œuvre tragiques entre tous, choisis par la plus profonde pitié pour les plus saintes douleurs, pour les dernières heures de Jésus, pour son agonie, pour son arrestation et pour son jugement, pour sa mort et pour sa sépulture. Autant qu’avec les mystères de la foi, la musique sixtine a des affinités avec les catastrophes de l’histoire. Vers la fin du XVIe siècle, on peut imaginer quels souvenirs, et de quelles épreuves, devait ranimer ici, un soir de semaine sainte, à « Ténèbres, » l’O vos omnes ! de Victoria. Trente ou quarante ans écoulés n’avaient point-effacé du front de Rome l’outrage d’une invasion peut-être plus impie que celle même des Barbares. Et puis, et surtout, le sein déchiré par la Réforme, la ville entre toutes maternelle pleurait les innombrables enfans qu’hier elle avait perdus. « Si est dolor sicut dolor meus. » Les voix plaintives pouvaient interroger et l’on aurait pu leur répondre. Oui, tout près de la douleur que chante la musique de Victoria sur les paroles du prophète, il en est une, ici, qui lui ressemble et qui l’égale : c’est celle que sur le visage du prophète le pinceau de Michel-Ange a répandue.

Après Jérémie, est-ce Jonas que vous souhaitez d’entendre ? Regardez-le d’abord, à peine échappé du monstre, celui qu’un visiteur éloquent de la Sixtine appela « le Prophète de l’Implacabilité… Le corps renversé dans une pose d’une superbe arrogance, il compte sur ses doigts le dernier des quarante jours et, d’un visage affligé et irrité, il reproche au Seigneur sa miséricorde[1]. » Affliction, irritation, arrogance, il y a tout cela dans certain motet de Palestrina, rien que dans les deux premières paroles : « Jérusalem, surge ! » Elles décident en quelque manière de tout

  1. M. Emile Ollivier, Michel-Ange.