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le tabernacle prédestiné de sa beauté, l’idéal polyphonique suscita, pour le garder, le servir et l’honorer sans trêve, de longues générations de grands artistes et de chefs-d’œuvre immortels.

Ainsi la voûte qu’une seule main a peinte, a résonné d’innombrables voix. C’est la grandeur de Michel-Ange d’abord, — et cela suffirait à l’élever par-dessus tous les autres, — que, pour emplir de sons l’espace par lui seul rempli de formes et de couleurs, il ait fallu des siècles de musique et de musiciens. Pour cette musique même, il est à peine moins glorieux d’avoir soutenu, sans y périr, une aussi formidable rencontre. Enfin, sous la voûte en tout harmonieuse, cela crée une harmonie encore. Dans l’histoire comme dans l’éthos de la Sixtine, dans ce qu’on sait de ce lieu, dans ce qu’on y voit, dans ce qu’on y écoute, il se fait une espèce de compensation ou de revanche réciproque. L’équilibre s’établit entre la pensée d’un seul et celle de plusieurs ou de tous, entre un moment et des années de génie, entre les deux principes nécessaires, celui de l’individu et celui du nombre, qui se partagent l’ordre de la vie et l’ordre de la beauté.


IV

Après les rapports de contraste, voici les autres, ceux qui naissent de l’analogie ou de l’identité.

On se plaint quelquefois que la musique palestrinienne manque d’action et de pathétique. Pour lui faire un pareil reproche, il faut la connaître mal, si ce n’est l’ignorer. Avec autant de puissance que de sobriété, les maîtres de la polyphonie vocale ont exprimé les exaltations de l’âme par la vivacité des mouvemens, par l’énergie des rythmes, par l’intensité des sons, mais surtout par la richesse des harmonies. Il y a chez Palestrina, chez Victoria, des accords d’une telle plénitude, qu’ils semblent fourmilier de notes, comme là-haut le manteau du Créateur fourmille de têtes d’anges.

Cherchez-vous des transports d’allégresse ? Vous les trouvères dans les Gloria, dans les Sanctus de messes innombrables. Lisez le motet de Nanini pour le jour de Noël : « Hodie Christus natuz est, » qui débute avec un sourire, et par degrés s’anime et s’enivre de joie. Parlerons-nous du motet de Palestrina sur les paroles du psaume 80 : « Exultate Deo adjutori nostro, Jubilate Deo Jacob ? » Celui-là, ce n’est pas le lire qu’il faudrait, mais l’entendre. Le