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par rapport au vaisseau merveilleux que si longtemps elle a rempli de ses ondes.


I

Au premier aspect, il semble qu’ici tout soit peinture et que la peinture y soit tout. La paroi du fond, derrière l’autel, est-occupée entièrement par le Jugement dernier. Sur les faces latérales, trois étages de fresques se partagent l’espace qui s’élève du sol à la voûte. Le premier ne représente que des étoiles, soie ou brocart, drapées et retombant le long des murailles. Plus haut, comme une frise divisée également en tableaux rectangulaires, qui se suivent et se ressemblent, se développe l’œuvre des peintres auxquels Giovannino dei Dolci, l’architecte de la Sixtine, en confia la décoration première : Cosimo Rosselli, Sandro Botticelli, Domenico Ghirlandajo, Pinturicchio, Pietro Vanucci (le Pérugin) et un peu plus tard Luca Signorelli. Au-dessus d’eux, les maîtres d’autrefois, trône le maître de toujours. Mais d’abord, à leur doux et calme génie, son génie farouche ne paraît toucher qu’avec respect et piété. Les premières figures de Michel-Ange [entendez, les plus basses, auxquelles nous reviendrons tout à l’heure] sont aussi les plus calmes. Puis, à mesure que la surface monte et se courbe, l’artiste s’exalte, il s’échauffe, il s’enivre, et c’est du bord et du sommet de la voûte qu’il rayonne et qu’il foudroie.

Partout présente ici, la peinture prétend, arrive à tout. On croirait que les autres arts plastiques, ayant pressenti sa puissance, lui firent d’avance l’abandon de leurs droits. Un hôte assidu, un ami passionné de la Sixtine l’a remarqué naguère : « La sobriété propre à l’architecture romaine de cette époque (1480-1483) va jusqu’à l’extrême sécheresse dans la construction de Giovannino de’ Dolci : vaste vaisseau rectangulaire, où nul profil ni saillie ne vient arrêter le regard[1]. » A l’architecture en quelque sorte absente, avec quelle grandeur, avec quelle richesse, la peinture seule n’a-t-elle pas suppléé ! Profils et saillies, articulations et reliefs, colonnes, corniches et balustres, elle a figuré jusqu’à l’illusion tout ce qui nous paraît solide. Elle a, comme dit la Sagesse, disposé suivant le nombre, le poids et

  1. Julian Klaczko : Rome et la Renaissance (Etudes et esquisses). — Jules II, 1 vol. Plon, 1898.