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et même la race harmonieuse, où tout ne s’oppose que pour se concilier. Les fleurs d’un printemps parent des siècles de ruines. Des linges sèchent sur des pierres sacrées et des chevaux boivent la pluie d’hier dans un sarcophage antique : On a vu des pâtres de la Campagne entrer chez un revendeur de vieux livres, près de la porte San Giovanni, et demander si leurs quelques « baiocchi » mis ensemble faisaient assez d’argent pour acheter un Dante. Espérant éconduire un cicérone importun, certain voyageur se vantait un jour, au Colisée, de tout connaître : les souterrains où l’on enfermait les fauves, et la loge des Vestales, et la porte des gladiateurs. Le guide alors, — c’était un vieillard, — lui répondit gravement : « Vous avez encore de la barbe blonde et vous croyez tout connaître ! Regardez-moi. J’ai près de quatre-vingts ans et la barbe blanche. Voilà plus de cinquante années que je vis parmi ces pierres et je ne sais pas le quart de ce qu’elles ont à m’apprendre. » L’étranger garda le silence, heureux d’avoir surpris une harmonie encore, et toute romaine, entre d’aussi humbles gens et d’aussi hautes pensées.

Dans ces contrastes ou ces conformités profondes, la musique entre plus d’une fois comme élément. C’est assez l’habitude, et l’injustice aussi, des hôtes de Rome, d’y trop oublier la musique. Au-dessous des autres arts, elle y eut pourtant sa place et sa beauté. Un grand Romain, saint Grégoire, n’a-t-il pas sauvé naguère, pour les faire chrétiens, les accens de l’antique mélodie latine ? Dans le sanctuaire où nous allons entrer, n’est-ce pas le génie romain qui porta jadis à la perfection la forme, étrangère mais adoptée par lui, de la polyphonie vocale ? Sous le patronage indulgent d’un saint aimable, un couvent de Rome vit naître l’oratorio, dont l’un des premiers et des plus grands maîtres, Carissimi, devait bientôt descendre du penchant des montagnes albaines. Entre Rome et la musique, voilà peut-être assez de rapports, étroits et glorieux. Voilà comment l’air léger et limpide qui baigne ici tant de formes admirables, y a lui-même formé d’admirables sons.

Franchissons maintenant le seuil de la chapelle vaticane. Commençons par la regarder ; puis, quoiqu’elle se taise, écoutons-la. A la splendeur des figures présentes, ajoutons, comparons, par le souvenir ou l’imagination, la beauté des chants évanouis. Alors nous reconnaîtrons peut-être que la musique sixtine est une harmonie deux fois : par elle-même d’abord ; puis