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Arrêtons-nous dans ce champ pieux où des saints reposent sous de petits temples verts, épars et solitaires, des thébaïdes dans le désert de pierres pour des moines retirés dans la solitude inviolable. L’air est léger, les figuiers qui traçaient sur le ciel il y a trois semaines leurs réseaux d’argent lisse, dont nous avons suivi jour à jour le bourgeonnement, sont maintenant entièrement revêtus de leurs feuillages dentelés. Un vieillard tourné vers l’Est fait ses génuflexions. Quand il se relève, les bras étendus, il se profile dans la lumière éclatante, au-dessus de sa cité, grand comme un prophète. Partout la prière. Des chants nous arrivent, une modulation liturgique très pareille à nos psalmodies de vêpres. Autour des saints, dans leurs thébaïdes, une procession se forme. Encore des invocations à Moulay Idriss pour que le ciel s’ouvre et que les pluies tombent sur les moissons. Les voix fortes et passionnées battent l’air comme des cloches, sonnant l’alarme et la prière, elles chantent comme nous dans nos églises des ver-sots dont les trois dernières notes sont modulées en mineur. D’autres voix leur répondent. Un second cortège chemine vers celui-ci, théories blanches comme des frises de marbre ancien. Elles se rejoignent, se croisent, circulent, suppliantes, autour des tombeaux à coupole verte. Puis je les vois se diriger vers le fleuve Sebou. En chemin, les enfans de Tlemcen leur donneront leurs cailloux et demeureront plies à leur tâche. On se plaît, les yeux fermés, à suivre la clameur qui s’éloigne, le roulement d’orgue qui s’éteint, à se mettre pour un instant dans son rêve. Que répondront le grand Moulay Idriss ? le fleuve Sebou ? Les soixante-dix mille cailloux jetés dans son lit feront-ils monter ses eaux indolentes ? Hier soir, des roulemens d’orage, des souffles froids avaient mis de l’émoi dans nos jardins, et déjà commençaient, sous les tentes des gardes, le battement des tambourins et les cris triomphans. Mais la lumière de midi est pure et tranchante. Les faucilles de flamme s’abattent sans pitié sur les jeunes blés. Les processions vont, répandant par la campagne leurs prières, leurs chants, leur confiance.

Ici, ce ne sont pas seulement les saints qui sont saints. Voici le vieil olivier marabout. Devant lui, deux femmes sont en lamentations. Elles ont déposé leurs amphores, le grand haïk lourd comme la pierre les couvre tout entières, cachant leur visage. On entend qu’elles pleurent, qu’elles grondent, un malheur est arrivé ; elles prennent le ciel à témoin. Le vieil arbre muet est