Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps à la nuit close à travers les bois d’oliviers jusqu’au fleuve Sebou dont les eaux feront sur lui aussi leur petit remous, et le rouleront jusqu’à l’Atlantique. Car aucun habitant des villages ne donnera l’asile d’une fosse au corps du roumi. Et si ce n’est pas moi, ce sera aussi bien le riche marchand musulman qui revient des villes de la cote, portant dans son sac de cuir brodé les écus d’argent contre lesquels il a échangé ses troupeaux. Et je me hâte, malgré la beauté toujours plus grande, plus dorée, plus triste des tombeaux, des chemins bleutés, des vallées au sol couleur d’argent, et malgré le regret de laisser neiger sans moi au vent du soir mes fleurs d’amandiers. La lumière qui rase la terre en éclaire tous les accidens, toutes les saillies, alors que le ciel a déjà pâli au zénith et ne flamboie plus qu’au couchant derrière le massif du Zerhoun. Je revois dans des tonalités plus intenses où des flammes d’or semblent courir, les prairies où s’ouvrent comme des yeux jeunes les liserons bleus, mes tapis de petites fleurs blanches au cœur d’or. Les buveurs de thé, les joueurs de luth, les souffleurs de pipeaux n’y sont plus couchés. Quand le coup de canon tonne et annonce la disparition du soleil, les moueddins aux sommets des minarets qui appellent tous ensemble les fidèles à la prière, ne voient plus que la campagne vide, les tombes sans nombre. La cigogne aussi a regagné son aire, si grande que les petits martinets, les alouettes huppées viennent abriter leurs petits nids dans le sien, dans l’épaisseur des bords recourbés.

Les lourdes portes extérieures sont closes et les remparts serrent maintenant leur anneau fermé autour de ces milliers de vies humaines qu’en des hypothèses peu vérifiables notre curiosité d’étrangers dénombre toujours. S’il est des retardataires, ils se collent aux portes près des gardes qui veillent, et là ils attendront le jour. Par surcroît de prévoyance, les dix-huit quartiers de la ville vont aussi s’isoler les uns des autres par des portes intérieures qui se ferment pour la nuit. Cela fera comme autant de petites villes séparées, protégées les unes contre les autres. Aussi chacun se hâte de regagner son logis. On voit passer les jeunes meuniers enfarinés, pareils à de petits pierrots sérieux. Ils trottinent, drôlement juchés sur l’arrière-croupe des petits ânons qu’ils battent de leurs pieds nus. Dans leur hâte de passer les portes avant qu’il soit trop tard, ils se bousculent, les petits meuniers ; quand leurs ânons se cognent nez contre nez aux