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plus de marchés, plus d’intrigues, plus de politique. On se visite, on se complimente. Que de blancheurs neigeuses dans les minces ruelles ! On rencontre les vizirs et leurs khalifas, et quels sourires enchanteurs on échange, et combien sont loin les soucieuses discussions des réformes ! Ils passent, et on croit avoir vu une nuée d’archanges. Les burnous bleutés étaient célestes et les incertaines transparences vertes ou rosées, si subtilement méditées, laissaient un trouble d’apparition. On voit passer de fins vieillards qu’on n’avait pas encore aperçus, qui ne sortent que pour ces solennités. Les voiles neigeux les enveloppent de plis statuaires, les rendent pareils à de fragiles et précieuses figurines qui se mettraient à parler, à se mouvoir comme dans un conte. Ce petit vieillard aux joues roses qui passait ce matin, qui semblait si vieux, vieux au-delà du temps, avec son visage plissé et rosé, sa longue barbe neigeuse, ses minces épaules bandées dans les voiles, semblait un vieux génie de légende, une légende sereine. Rien du sombre Moghreb. Il ferait un charmant bonhomme Noël, descendrait sans bruit comme une ombre blanche par la cheminée. Il va, trottinant sur sa mule blanche conduite par deux nègres placides ; il trouve son chemin comme une fourmi dans sa fourmilière à travers le lacis inextricable des ruelles ; il sait le secret de toutes les petites rainures de pierre, enchevêtrées au bas des murailles, sévères voiles qui ne nous ouvrent pas leur clôture de pierre. Le petit vieillard va, il longe des jardins ; sa mule blanche, d’instinct sûr et docile, s’arrête, et les esclaves noirs font toc-toc. Une porte petite et basse s’ouvre comme une trappe, se referme sans bruit. Et il y aura encore dans le jardin d’orangers bien des sentiers obscurs et embrouillés avant que le visiteur arrive à la demeure souvent splendide où se déroule, jalousement cachée, l’invisible vie de famille. Les yeux étrangers ne verront pas l’accueil fait au petit vieillard, et pourtant l’hospitalité algérienne qui a souvent accueilli à Fès le roumi français nous a donné bien des fois la vision des hôtes réunis dans l’étroite et longue salle lambrissée de faïences ; et nous savons bien comment, laissant les babouches à la porte ou sur le seuil des épais tapis, nos citoyens de Fès vont s’asseoir en rond, les genoux repliés sur ces minces divans que les mains des femmes invisibles ont recouverts des broderies patientes de leurs longs loisirs.

Les bonnes esclaves vont entrer sans bruit. Jeunes juives