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même mouvement toutes les têtes se courbent, et le grand caïd à la voix retentissante les désignant au chérif s’écrie : « Sidna, Sidna mon Seigneur, voici ton peuple, il est à toi. »

Et les blanches stèles vivantes s’inclinent toutes les deux, et toutes les voix répondent : « Sidna, Sidna, oui, tu es notre maître et nous sommes tes enfans. »

Et le Seigneur silencieux et doux pose sur les dociles légions blanches ses yeux impassibles, mais il ne leur accorde qu’un regard. Pas un signe, pas un geste. Tout le long du trajet vers le palais, jusqu’à ce que le Sultan ait pour de longs mois disparu aux yeux de son peuple, les cohortes blanches s’alignent et se courbent. Et toujours vers le Seigneur monte le verset et toujours le répons : « Sidna, Sidna mon Seigneur, regarde ton peuple, il est à toi.

« Oui, mon Seigneur, nous sommes tes enfans et tu es notre maître, » et les voix frôles des enfans portés dans les bras des pères, chantent sur un diapason aigu : « Sidi, Sidi mon Seigneur, tu es le maître de mon père et tu es le maître de son enfant. »

Et maintenant, aux abords du palais, dans la longue cour carrée qui porte le nom de Mechouar, une foule dense s’est massée. C’est là qu’une dernière fois, avant qu’il disparaisse sous l’ogive, les Fasis verront leur pape. Ils veulent suivre des yeux l’auguste forme blanche jusqu’à la dernière seconde. Là se rangent les cavaliers, les soldats, les caïds, les chérifs et les fgibs et les tolbas, et les femmes voilées dans l’épais haïk, étranges statues de pierre dont les yeux dardent des feux ; et les sombres phalanges de Juifs aux bonnets noirs et aux longues lévites, et les troupes d’enfans encapuchonnés qui courent dans la lumière comme des papillons diaprés. Tout se presse ; tout attend une dernière fois. Toutes les selles de velours, toutes les franges de soie claires, tous les caftans roses, verts, orange et les burnous « sucri » légèrement teintés de bleu comme un ciel du matin qui s’éclaire, tout cela dans le quadrilatère exact des murs fauves, chatoie, se déplace, avec les remous de la foule, les sursauts des chevaux impatiens, reçoit et renvoie des reflets de feu. On croirait voir des rayons passer à travers un prisme. Le dessin ferme des créneaux découpe le ciel ardent en broderie précise ; il avive encore l’absolue clarté du ciel. La lumière est comme magnifiée, portée à son dernier degré de puissance : elle est à l’état de passion véhémente. Elle perce tous les neigeux et