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Le jeune cherif simple et blanc chevauche en silence, ses yeux impassibles baissés sur son peuple. Il est suivi de ses ministres, de ses dignitaires, de tout ce qui fait le Maghzen, hommes de toutes races, la plupart fils d’esclaves comme leur maître. Le long cortège défile, les caïds relia, les caïds mia saluent de l’épée baissée. Toutes les têtes, sur les minces files des soldats, s’inclinent pieusement. Mais pas une acclamation, pas un cri. Le silence par lequel ce peuple accueille son seigneur est plein de respect craintif et religieux.

Maintenant le Sultan a mis pied à terre. Il a laissé derrière lui ses escortes, ses esclaves qui gardent en main les chevaux et il s’en va seul, à pied, prendre sa place au lieu de la prière, au milieu des Fasis prosternés. Il se confond avec eux, aucun signe n’indique son rang suprême ; on reconnaît seulement la blancheur plus immaculée et comme sucrée de ses vêtemens. L’iman gravit les trois degrés du petit édicule, et, face au peuple, les bras étendus, récite les textes sacrés. Alors toutes ensemble, les blanches figures, si petites dans le large espace sous le ciel infini, s’abaissent et se relèvent suivant une liturgie mystérieuse. Une moisson de fleurs blanches n’est pas plus docile auvent qui passe sur elle et la couche, que ne sont toutes ces têtes voilées lorsqu’elles s’inclinent sous le souffle saint qui tombe des lèvres de l’iman. On pense aux grands frissons qui moirent nos avoines pressées. Ainsi toujours ici les foules, par l’uniformité et la simplicité des gestes, éveillent des idées de nature. Les forces parlent, les hommes s’inclinent sans résistance. Ensemble tous les fronts touchent le sol ; ensemble ils se relèvent ; ensemble la voix du chef et celle de tout le peuple répondent au pieux appel de l’iman. La grande clameur de prière monte dans l’air transparent, emplit la plaine. Derrière le peuple blanc, les soldats sur leurs longs alignemens prient. Tous les fronts des cavaliers, dans les épaisses phalanges, se courbent sur les cols des chevaux. Pour un moment une immobilité absolue a frappé ce peuple. Les draperies blanches, les longs plis des burnous semblent de marbre, reposés dans un geste éternel. Il n’y a de vivant que le cri de prière qui monte.

C’est une vision d’ordre et de beauté ; impression fugitive, mais émouvante et solennelle. Le ciel illimité où s’épand et s’éteint le même appel de ces milliers de voix semble absorber la prière. Prière immuable, universelle qui perd soudain tout