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écarlate ! Les caïds cossus, venus de leurs proches ou lointains territoires pour rendre leur hommage et présenter leurs dons, chevauchent derrière leurs bannières, entourés de leurs cavaliers. Ils défilent par tribus. On voit là des figures guerrières, tannées et tatouées, aux yeux perçans comme ceux des oiseaux de proie ; des boucles noires échappées de la chéchia tombent en tire-bouchons sur les cous minces. Ils ont l’aspect à la fois classique et sauvage. Le même mouvement rapide qui chassait sur l’épaule le manteau flottant du cavalier antique rejette hardiment en arrière le burnous qui tombe en plis statuaires et va tout à l’heure s’ouvrir et voler au vent des galops. Ils semblent d’une autre race que celle des modestes et gras citadins. — Le menu peuple chemine à pied. Les longues pièces de laine blanche s’enroulent sur le caftan clair, encapuchonnent la tête, emprisonnent les épaules, font les mouvemens lents, graves et religieux. On dirait des moines silencieux, tout blancs, se rendant à l’église pour chanter matines. Ainsi vont les marchands et les artisans, les ciseleurs de cuivre, les tisserands qui dévident tout le jour, assis dans les échoppes, les laines floconneuses et les lumineux écheveaux de soie luisant comme des toisons d’or dans l’ombre des souks ; — et les vendeurs d’odorantes et lointaines épices ; et les distributeurs d’eau qui portent sur l’épaule l’outre ruisselante et gonflée et vont par les ruelles agitant leurs sonnailles ; et les fgihs, hommes de science, détenteurs de l’esprit du Coran, habiles à en interpréter les textes, que l’on appelle des « hommes de mule » par opposition à l’homme de cheval, à l’homme de poudre, au cavalier agile, ami de la guerre et des rapines. — Tout cela monte au Msalla, du même flot silencieux, sans mêler aucune rumeur à la voix des eaux blanches et bouillonnantes qui sautent en cascades aux portes de la ville cl courent dans les jardins et la campagne. Toute cette blancheur des vêtemens reçoit le rayonnement de la lumière matinale qui fait les voiles plus brillans, plus fins, plus transparens. Par les chemins étroits, entre les faisceaux bleutés des lames d’aloès qui bordent les champs d’oliviers, descendent de petites processions blanches. Elles arrivent des rares villages, à peine visibles au flanc des montagnes. Et l’on voit aussi, toujours blanche, — de ce blanc monochrome et pourtant si nuancé, qui peut exprimer la jeunesse des adolescens et la dignité des vieillards, l’opulence comblée des riches et la misère sans espoir de tout ce qui par