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pendant très longtemps, ou encore d’observations faites au jour le jour sur le vif des événemens contemporains ; et que dans le second, — on ne saurait tout savoir, tout lire et tout étudier également, — il a peut-être accordé trop de confiance à un guide que nous croyons peu sûr. Je veux parler du gros livre de M. Debidour sur l’Histoire des rapports de l’Eglise rt de l’Etat en France de. 1789 à 1870[1]. A notre avis, ce livre, quelque « documenté » qu’il soit, ou paraisse être, est l’un des ouvrages les plus tendancieux et les plus inconsciemment partiaux qu’il y ait sur l’histoire des idées religieuses en France au XIXe siècle. On le dirait écrit pour préparer et pour justifier par avance la séparation de l’Eglise et de l’Etat : de fait, c’est là que les auteurs de la loi nouvelle ont puisé la plupart de leurs argumens historiques. En réalité, le livre de M. Debidour serait tout entier à refaire, et à toutes les pages, on y rencontre des erreurs de fait, et surtout d’appréciation qui sont parfois assez grossières. En voici un exemple très significatif : je le choisis entre bien d’autres, parce que, sur ce point, M. Debidour, ce qui m’étonne, a réussi à convaincre M. Faguet.

« Il est assez probable, écrit ce dernier, que presque personne en France ne le désirait [le Concordat de 1802]. Comme M. Debidour la fort lumineusement démontré, qui aurait pu le désirer ? Ni le clergé constitutionnel, qui n’avait besoin que d’un gouvernement fort ; ni le clergé « réfractaire, » qui n’avait besoin que d’un gouvernement libéral qui ne le fusillât point ; ni la masse des fidèles, qui n’avait besoin de rien, sinon que les églises fussent ouvertes, et qu’on ne la fouettât point quand elle y allait. » — Pour soutenir ce paradoxe, il faut que M. Debidour ait feuilleté d’une façon bien distraite les journaux, brochures, correspondances et mémoires du temps ; il faut qu’il ait bien profondément oublié les ouvrages publiés sur le Concordat ; auxquels il renvoie lui-même. En fait, le Concordat n’a eu contre lui que les généraux de Bonaparte, les derniers révolutionnaires, le clergé constitutionnel, les idéologues, et quelques protestans comme Mme de Staël, Benjamin Constant et Cuvier, qui avaient rêvé d’une conversion en masse de la France au protestantisme[2]. En fait, le Concordat a été désiré, souhaité,

  1. Histoire des rapports de l’Eglise et de l’État en France de 1789 à 1870, par A. Debidour. in-8o ; Paris, Félix Alcan, 1898.
  2. Voir là-dessus E. Bégin, Villers, Mme de Rodde et Mme de Staël ; Isler, Briefe an Ch. de Villers, et Mme de Staël elle-même, notamment dans ses Dix années d’exil (édition Paul Gautier, Plon, p. 52-53), dans ses Considérations sur la Révolution française, et dans le curieux écrit Des circonstances actuelles, etc., que M. Paul Gautier a fait le premier connaître ici même dans la Revue du 1er novembre 1899, et que M. John Viénot vient de publier au complet, à la librairie Fischbacher.
    Il est à noter que tous les protestans furent très loin de protester contre le Concordat ; plusieurs consistoires de France exprimèrent publiquement leur satisfaction ; et dans une lettre officielle « adressée par les ministres du culte protestant à Genève, au citoyen Portalis, » je trouve la remarquable déclaration que voici relativement au catholicisme : « Le sentiment de fraternité et de charité qui nous a fait partager avec l’émotion constante d’une vive douleur les calamités de cette Église, et nous a engagés à soulager comme les autres Églises protestantes, autant que nous l’avons pu, ceux des ministres du culte catholique qui ont cherché un asile dans nos murs, se change maintenant en un sentiment de joie à la vue de l’avenir qui s’ouvre pour cette Église. Notre vœu le plus ardent serait que toutes les communions chrétiennes n’en formassent avec le temps qu’une seule : et s’il nous était permis de dire ce que nous pensons sur les statuts relatifs ù la grande portion de l’Église chrétienne que nous venons de désigner, nous dirions que l’on ne pouvait ni moins, ni mieux faire. » (Moniteur universel du 23 floréal an X.)