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et tout ce qui ne ressemble pas à Voltaire n’est pas français. « Le Français, dira-t-il encore, croit avoir tout dit quand il a dit : Je ne comprends pas ; et c’est une chose qu’il dit extrêmement vite. » Voltaire, peut-être, et avec lui la plupart des petits bourgeois français dont il est le type supérieur. On a publié récemment de très curieuses Notes inédites de Voltaire sur la Profession de foi du Vicaire savoyard[1] : ce sont des réflexions, souvent fort désobligeantes, écrites par le « patriarche » en marge d’un exemplaire de l’Émile. « Que faire, — s’écrie Rousseau, après le célèbre passage sur « la vie et la mort de Jésus » qui « sont d’un Dieu, » — que faire au milieu de toutes ces contradictions ? Être toujours modeste, respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter, ni comprendre. » Et Voltaire d’écrire en marge : « Si tu ne comprends, rejette. » Ne le voilà-t-il pas tout entier ? Et ce mot n’est-il pas la formule même de sa nature d’esprit ? Mais, quoi qu’en dise M. Faguet, tous les Français n’y souscriraient pas. Il y en a qui, contrairement à la pensée de Voltaire, croient avec Pascal que « tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être. » Et qui sait si ce ne sont pas les plus nombreux ? Et ceux-là estiment que c’est un peu calomnier l’esprit français que de le rabaisser au niveau de celui de Voltaire.

Dirons-nous donc à notre tour que le Français est « essentiellement religieux ? » Nous ne le dirons pas, quoique assurément la formule fût peut-être plus voisine de la vérité que la formule contraire. Mais nous dirons simplement que le Français a, par nature, le goût et la passion même de l’apostolat. Le Français est un être essentiellement social ; il ne peut vivre et penser pour lui tout seul ; il éprouve l’impérieux besoin de faire partager sa conviction par d’autres : il est né apôtre. Et s’il s’est si facilement converti au catholicisme, c’est qu’il a reconnu comme une sorte de convenance intime entre ses instincts les plus profonds et une religion qui faisait de l’apostolat le premier des devoirs. Et cela est si vrai, cette disposition au prosélytisme est chez lui si puissante quelle subsiste au sein même de l’incroyance. Quand le Français devient incrédule, son incrédulité a un caractère presque religieux. C’est une foi à rebours. Il faut qu’il la communique et qu’il la répande. Son ardeur de propagande a changé d’objet : elle n’a pas changé d’intensité.

  1. Annales Jean-Jacques Rousseau, année 1905. Genève, A. Jullien, p. 272-284, — Ces Notes inédites ont été publiées par M. Bernard Rouvier.