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son intelligence avide de comprendre et de représenter les idées les plus diverses et les nuances d’âme en apparence contradictoires, sa conception de l’art, en un mot, exigeait, pour s’épanouir, non pas les conventions nécessaires de la scène, mais la relative liberté du livre. Il faut donc le féliciter d’avoir su, sur une route qui n’était pas la sienne, cueillir des fleurs nouvelles.

Il a réussi d’abord, et sans trop de peine, à se créer une langue dramatique. On reprochait au romancier, surtout dans la première série de ses Épisodes, des familiarités et des incorrections. Ces tours pittoresques ont trouvé leur place naturelle dans la bouche des personnages de son théâtre. N’avaient-ils point été recueillis sur les lèvres mêmes de ses contemporains ? Le dialogue de M. Galdós, c’est la conversation castillane, telle qu’on l’entend aujourd’hui ; et, à la parler avec la plus vive souplesse, ses héros prennent un air de vérité qui fait oublier plus d’une fois quelques invraisemblances de leur caractère ou de leur rôle. Interrogez un Espagnol. Il vous dira qu’il vaut la peine d’apprendre le castillan pour des raisons nombreuses et diverses, et aussi pour entendre parler en leur langue les personnages de M. Galdós.

Les intrigues auxquelles ils sont mêlés ne sont pas toujours franchement et absolument originales ; mais il est rare qu’elles ne soient pas nouvelles en Espagne, et il est difficile de ne pas être frappé de leur variété. Que les sujets mis en œuvre par M. Galdós laissent entrevoir entre eux des rapports et qu’ils se ramènent tous à une unité supérieure, c’est ce qui ne pouvait pas ne pas être, puisqu’ils furent conçus par le même esprit. Pour former vraiment un théâtre, il faut bien qu’ils aient un air de famille. Mais avec quelle diversité ils le montrent ! Plus largement humains ou plus spécialement espagnols, plus précisément familiers ou plus vaguement symboliques, ils attestent un effort jamais lassé pour se reprendre et se renouveler. Aucun d’eux ne se laisse jamais entraîner dans des enchevêtremens factices ou dans de sanglantes complications. M. Galdós abandonne à la fois la tradition de la comedia de l’âge d’or et les exemples du duc de Rivas ou de don José Echegaray. On peut discuter la vérité ou la vraisemblance de ses expositions. On ne peut nier que, pour s’acheminer vers le dénouement, elles négligent d’ordinaire jusqu’à l’extrême limite du possible les