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soutenu, en effet, avec un art qui ne manque ni de force ni de pittoresque, une thèse qu’on n’a pas pu ne pas trouver « réactionnaire. » La scène se passe à Syracuse en 1815. Bárbara, comtesse de Termini, a, dans un mouvement instinctif de révolte, frappé à mort son odieux mari, Lotario Paléologo. On accuse de ce meurtre et on va conduire au supplice celui qu’elle aime et qui l’aime d’un amour purement spirituel, le mystique capitaine espagnol Leonardo de Acuña. Comment obtenir sa grâce ? Le maître de Syracuse, l’intendant Horacio Baddaloni exige, pour l’accorder, que la comtesse de Termini, qui a rompu avec la société en devenant criminelle, rentre dans le monde en épousant Demetrio Paléologo en qui semble ressusciter son frère assassiné. Bárbara, après une lutte douloureuse, finit par accepter ce mariage comme l’expiation nécessaire, et, tandis que s’éloigne Leonardo qui suit un pèlerinage en Terre Sainte, Horacio se réjouit d’avoir occupé les loisirs de sa tyrannie « à modeler avec la misère humaine la statue idéale de la Justice. » Qu’est-ce, en effet, pour lui que la Justice ? Elle consiste dans le retour à l’état antérieur, dans ce qu’il appelle le l’établissement du droit troublé. L’histoire ne justifie-t-elle pas cette conception ? On célèbre au troisième acte un Te Deum en l’honneur de la bataille de Waterloo. Que signifie donc cette victoire, si ce n’est que les choses vont revenir à l’état où elles étaient avant la Révolution française ?

On s’explique sans peine que le public de M. Galdós n’ait pas été médiocrement dérouté par une façon d’entendre la justice, qui ressemble fort à la négation même du progrès. Il a admiré dans Bárbara la poésie du décor et la tragique beauté de deux ou trois situations’. Il a entrevu dans la comtesse de Termini et dans son chevalier espagnol la personnification de deux conceptions de la vie, la païenne et la chrétienne. Il lui était plus difficile d’entrer dans la pensée subtile et fuyante de l’artiste et énigmatique tyran qui est le véritable héros de la pièce. Est-il vraiment nécessaire de la discuter ? On peut, si l’on veut, la rattacher à la philosophie de Kranse qui a eu en Espagne un succès si considérable. Mais M. Galdós sait aussi bien que personne que Waterloo n’a pas supprimé la Révolution française, et que les eaux du fleuve de la vie ne remontent jamais leur cours. S’il a voulu prouver quelque chose, c’est sans doute que son art a assez de souplesse et d’objectivité pour mettre en œuvre l’idée la plus