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Grand-Père est plus désintéressée encore, et elle a l’incomparable avantage de n’affaiblir en rien sa valeur psychologique. Voici enfin un drame d’une élégante simplicité qui, sans renoncer à nous faire penser, ne cesse pas de nous intéresser à ses personnages et ne nous suggère des idées qu’après nous avoir communiqué des émotions. La meilleure preuve qu’il est fortement conçu, c’est qu’il est aussi facile de le résumer qu’il est difficile d’en faire sentir l’effet. Le vieux comte d’Albrit, don Rodrigo de Arista-Potestad, est le grand-père de Nell et de Dolly. Il sait que l’une des deux n’est pas la fille de son fils mort pendant son absence ; mais il ne sait pas quelle est celle qui seule a droit à son affection. Ce secret qui importe à l’honneur de sa noble famille, il faut qu’il Lâche de le surprendre dans les yeux et dans la voix, dans les instincts et dans l’âme même de deux charmantes espiègles qui se ressemblent comme deux jumelles. Après d’angoissantes hésitations, don Rodrigo croit découvrir que sa véritable petite-fille est Nell. Il reconnaît ensuite, par les diverses manifestations d’une tendresse et d’un orgueil qui l’enchantent également, que son véritable sang, c’est Dolly. Il apprend alors que c’est Nell, mais, éclairé par sa douleur même qui lui fait voir dans l’éternité un continuel mélange de races et de générations, il garde auprès de lui l’oiseau étranger qui veut faire son nid dans le tronc abandonné d’Albrit. Voilà tout ce qu’il y a d’essentiel dans le Grand-Père, et cela est assez remarquable, surtout en Espagne. Dans un pays où le théâtre a volontiers usé et abusé des intrigues compliquées et a fourni presque toute l’Europe de situations romanesques et de scènes sanglantes, M. Galdós a réussi à faire applaudir un drame où les événemens extérieurs ne jouent à peu près aucun rôle, où l’impression tragique ne se dégage d’aucune surprise brutale, où les recherches angoissées et les douloureuses fluctuations d’une âme en quête d’un secret de famille suffisent pour prendre le spectateur par les entrailles et lui communiquer la plus légitime et la plus émouvante des curiosités, pour le conduire enfin, à travers des péripéties purement morales, jusqu’à un dénouement qui s’épanouit sans effort en une leçon d’humanité.

Le Grand-Père avait montré l’impartialité de son auteur. Bárbara la prouva surabondamment. On dirait qu’en écrivant cette tragi-comédie, M. Galdós a voulu fermer la bouche à ceux qui persistaient encore à le traiter de révolutionnaire. Il y a