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l’ordre et le bien-être à la place du gaspillage et de la misère. Elle sauve même Alejandro, dont la fortune a disparu dans une faillite, de l’orgueil et de l’hérédité qui le condamnaient au suicide. Il l’épousera et reconnaîtra au spectacle de cette énergie morale que la lutte saine de la vie est autrement belle et féconde que son idéalisme artistique.

Je prie qu’on ne voie point dans les lignes précédentes l’analyse de je ne sais quelle pauvre berquinade. La beauté de l’effort, la valeur morale d’une énergie appliquée aux réalités de la vie ; ce ne sont pas sans doute des vérités nouvelles. Qu’importe, s’il est vrai, comme le croit M. Galdós, que ce sont celles qu’il faut sans cesse et surtout prêcher à son pays ? Alejandro Hermann est une sorte de don Quichotte moderne, et le meilleur remède qu’on lui puisse souhaiter est, en effet, de rencontrer non point une Dulcinée, mais une Isidora. Volonté marque d’ailleurs un progrès sensible dans l’art dramatique de M. Galdós. Je conviens qu’il y a quelque difficulté à accepter des parens livrant sans hésiter les rênes du gouvernement à une fille qui n’a pas déjà si bien usé de sa raison. Mais, sauf cette réserve, l’intrigue de Volonté est d’une assez naturelle simplicité. La mise en scène est d’une sobriété parfaite puisqu’elle se contente pendant trois actes de l’arrière-boutique d’un magasin. Les personnages secondaires qu’on y voit passer se relient sans effort à l’action principale, et ils sont presque tous dessinés avec la plus vive finesse. Volonté relève aussi bien du réalisme espagnol que du théâtre d’idées.

Avec Doña Perfecta, M. Pérez Galdós aborde directement la question la plus délicate de toutes, celle du moins qu’il est le plus difficile de traiter en toute liberté d’esprit. Et c’est, bien entendu, la question religieuse. Sa pièce n’est qu’une adaptation de son roman, qui a été traduit dans presque toutes les langues européennes, y compris la nôtre. On connaît sans doute l’histoire de cette mère qui voit sa fille s’éprendre d’un cousin dont les idées modernes lui semblent la négation même de sa foi, et qui, pour éviter une union où elle redoute la perte de l’âme élevée par sa tendresse, fait appel aux procédés les plus tortueux et ne recule pas devant la demi-complicité d’un crime. Le drame ne vaut pas le roman. Il y manque, et les décors ne les remplacent point, ces descriptions de paysages qui nous faisaient pénétrer jusqu’au cœur de la vieille Espagne. Il y manque tous ces détails si nécessaires, puisqu’ils étaient la