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uns aux autres, et du choc de leurs passions se dégageaient des scènes émouvantes. Et ainsi le dialogue est devenu une comédie, et la comédie une tragi-comédie ; la Célestine est si bien un drame qu’elle a joué un rôle incomparable dans les origines du théâtre espagnol ; et elle n’est pas seulement un drame de lecture, puisqu’il suffit de nombreuses suppressions pour qu’elle soit Jouable et qu’en fait, elle a été jouée sous d’autres noms.

C’est ce que M. Galdós aurait sans doute reconnu s’il ne s’était pas heurté à des difficultés locales qui sont la meilleure explication de sa théorie. Il nous les a confiées lui-même dans un article publié par le journal le Temps du 15 août 1904. Après avoir constaté qu’en Espagne (comme d’ailleurs dans plus d’un pays et à plus d’une époque) ceux qui arrivent au théâtre sans titres sont accueillis avec bonne grâce jusqu’au jour où ils ont des succès évidens, il ajoute : « Mais que le néophyte ait quelque notoriété conquise en cultivant la poésie lyrique ou le roman, il ne lui sera pas facile d’éprouver tranquillement son talent à la scène… Ici il existe encore, quoique assez atténuée, une prévention, un mauvais vouloir contre les romanciers qui font des excursions sur le terrain du théâtre. On allègue une soi-disant opposition de moyens et de fins entre ces deux genres… qui sont deux fleuves frères, nés de la même source et roulant la même eau. » J’ai peur que ce sentiment de M. Galdós ne soit surtout un ressentiment des critiques qui furent faites à ses premiers essais dramatiques. Sans doute, comme il le dit lui-même, « personne ne soutiendra que le fait d’avoir écrit des poèmes ou des romans puisse interdire à un auteur d’aborder heureusement le théâtre. » Mais je crois qu’on peut encore soutenir que le drame et le roman ont des moyens et des fins assez profondément opposés pour qu’il n’y ait pas lieu de mêler ces deux noms et de fondre ces deux genres. S’il est légitime de parler de drames de lecture, c’est à propos d’un théâtre qui, comme celui de Renan, se préoccupe d’opposer des idées et non des âmes, sans s’occuper outre mesure de la possibilité ou des conditions de leur réalisation. Mais partout où l’auteur s’efface pour faire place à des héros qui vivent, c’est-à-dire qui agissent, partout où le dialogue s’impose comme l’indispensable mode d’expression, partout où l’intrigue jaillit de la rencontre de personnages qui la déterminent plus encore qu’ils ne la subissent, on pourra donner à l’œuvre le titre ou sous-titre qu’on voudra, elle n’en