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apparences. Comment enfin, dans un pays où le parti au pouvoir est toujours sûr d’avoir la majorité, comment mettre en doute la vérité des tableaux qu’il a tracés de cette forme espagnole de la corruption administrative qui s’appelle là-bas « le caciquisme ? » Religieuse, économique, politique, les trois questions que les Romans contemporains dégagent de l’étude des hommes et des choses du jour sont, sous la forme qui leur est donnée, les questions vitales au-delà des Pyrénées. Pourquoi, après en avoir vérifié l’importance et la nature dans l’histoire et dans la vie, M. Pérez Galdós a-t-il voulu les discuter enfin sur la scène ?

Qu’il ait cédé à l’attrait spécial d’un genre où le succès est plus immédiat et plus sensible, c’est possible et c’est probable. L’amour-propre est la loi de l’homme en général et des auteurs en particulier. M. Galdós a eu le secret espoir d’être applaudi par les spectateurs assemblés. Il n’a donc pas eu de peine à se persuader qu’il importait à son art d’entrer en communication plus directe avec son public. C’est d’ailleurs chez lui une conviction sincère que théâtre et roman ne sont séparés que par la plus superficielle des conventions. M. Galdós doit tenir à cette idée puisqu’il l’a reprise et développée dans chacune des trois seules préfaces qu’il ait mises en tête de ses drames (les Condamnés, Ame et Vie, et le Grand-Père).

Il est toujours élégant de se mettre au-dessus des ordinaires et méprisables classifications, et de proclamer que, dans le royaume de l’art, il n’existe entre les diverses provinces aucune frontière étroitement délimitée. Que nous venez-vous parler, diront ceux qui se croient indépendans, de prétendus genres littéraires, alors que sur les ruines des antiques tragédie et comédie, voire du drame romantique se dresse aujourd’hui le seul théâtre qui ait les promesses de l’avenir, celui qui ne catalogue point ses productions, mais qui, se servant du mot à la fois le plus juste et le plus indéterminé, se contente de les nommer des « pièces ? » Pourquoi l’œuvre jouée et l’œuvre lue continueraient-elles à être séparées par un abîme imaginaire ? Ce sont les feuilletonistes du lundi qui ont inventé que la première ne se pouvait apprécier qu’aux chandelles, et ce sont des critiques mal affranchis des préjugés scolaires qui ont établi entre le dramatiste et le romancier une ridicule incompatibilité d’humeur. M. Paul Hervieu a-t-il changé de nature quand, après s’être adressé à des lecteurs, il a voulu émouvoir des Spectateurs ? Et la grande œuvre