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dans une réciproque tolérance. Il a pu commencer à puiser dans ce milieu quelques-unes des idées dans lesquelles l’a confirmé l’étude de l’Espagne contemporaine et qu’il finira par porter au théâtre. Son goût pour l’observation et son ironie légère au spectacle de la vie ne sont pas non plus sans s’expliquer un peu par sa connaissance de l’anglais et par ces lectures de Dickens qui furent pour le jeune homme une véritable nourriture.

Lorsque M. Galdós arriva à Madrid en 1864 pour y faire ses études de droit, il s’aperçut bien vite qu’il n’était pas destiné à devenir un juriste éminent. Il essaya du journalisme. Il rappelle lui-même, dans la préface de son drame les Condamnés, qu’il a été atteint dans sa jeunesse de cette « rougeole littéraire qui se manifeste par une fièvre de criticisme impertinent. » Il ne tarda point à constater que, malgré la gravité puérile qu’il savait mettre à dire des sottises, il lui serait difficile de faire œuvre utile et honorable dans une presse où la politique envahissait toutes les colonnes et où le « critique taurin » se chargeait à l’occasion de juger le dernier roman. Je ne veux tirer de ces premiers articles que deux réflexions. La première est que M. Galdós leur doit peut-être un peu de cette souplesse et aussi de ces habitudes de polémique qui se retrouveront parfois jusque dans son théâtre. La seconde est que la clairvoyance dont il fit vite preuve à leur égard ; que son désir de chercher sa voie dans le travail et la réflexion ; que sa résolution de s’éloigner des luttes et des honneurs politiques pour se consacrer à l’étude désintéressée de son pays, de ses mœurs, de ses besoins et de ses aspirations ; que le plan déjà entrevu d’une vie qui se confondrait avec sa production littéraire ; que de tels sentimens et qu’une telle attitude ne dénotent pas forcément des dispositions pour le drame, mais qu’ils sont la marque d’un esprit qui, s’il peut assurément se tromper, ne mérite en tout cas aucune injuste méfiance.

Il semble bien que ce soit d’abord vers le théâtre que M. Galdós ait songé à diriger son activité. Les succès de Tamayo et d’Ayala le tentaient, et il ne lui déplaisait pas de songer que des paroles, d’abord écrites par lui, passeraient ensuite par la bouche de comédiens comme Romea, Mathilde Diez ou Teodora Lamadrid. Dans ses souvenirs sur ses contemporains, M. Eusebio Blasco raconte qu’aux environs de 1870, il vit arriver chez lui un jeune homme maigre et grave qui lui était recommandé par