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devait créer une situation délicate vis-à-vis du mandarinat et de toute la classe des lettrés, nous a aliéné toute cette partie de la nation, en se substituant aux mandarins privés de leurs ressources illicites et payés d’une façon dérisoire ; d’autre part, la classe bourgeoise, représentant la grande et la moyenne propriété, qui formait les conseils des notables, a été également atteinte : elle a abdiqué toute influence ou l’exerce à notre insu. Nous nous trouvons donc en présence de la masse annamite, privée de tous ses chefs naturels, mandarins ou notables, et elle nous apparaît comme un ensemble inorganique qui n’offre aucune prise.

Le mal est signalé, de louables efforts sont faits actuellement pour y remédier, et il est temps encore de l’enrayer au Tonkin et en Annam ; mais il faudra malheureusement de longues années pour ressusciter en Cochinchine l’organisme que nous avons tué. Les courageux aveux de M. Rodier, lieutenant-gouverneur de Cochinchine, ont depuis longtemps signalé cette situation. M. Beau, gouverneur général de l’Indo-Chine, dans le discours qu’il a prononcé le 11 décembre 1905 à l’ouverture de la session du Conseil supérieur, reconnaissait la nécessité de restaurer l’autorité mandarinale et exposait les mesures prises pour le recrutement des fonctionnaires indigènes dans chaque colonie du groupe indo-chinois. Ces mesures vont rendre possible cette politique de collaboration préconisée par le précédent ministre des Colonies, M. Clémentel. Elles seront complétées par la restauration de la commune annamite, et nous pouvons peut-être espérer qu’un esprit nouveau vivifiera tout l’ensemble de nos administrations. Elles doivent comprendre, sous peine d’être plus nuisibles qu’utiles, qu’elles sont faites pour l’indigène, dont la mentalité est différente de la nôtre. Notre organisme judiciaire en particulier est mené au rebours du sens commun, et notre procédure, obligatoire dans un trop grand nombre de cas (chaque fois qu’un Chinois ou tout autre étranger est mêlé à un procès quel qu’il soit), devrait s’alléger considérablement. L’instruction a été trop négligée et mal comprise. Nous avons oublié que la culture chinoise est indispensable au prestige de nos fonctionnaires. Il nous faut aider la langue annamite courante à devenir polysyllabique et propre par conséquent à exprimer nos Idées ; enfin on nous reproche fort justement de négliger l’éducation des indigènes : à notre contact immédiat ils perdent le respect des vieilles coutumes, des anciennes lois, du culte des