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traitement dérisoire, mais les ressources plus ou moins licites qu’ils trouvaient dans l’exercice de leurs fonctions ont été considérées comme abusives et entièrement supprimées ; parallèlement à eux fonctionnait notre hiérarchie d’administrateurs qui, au lieu de se faire leur guide, — il est plus facile d’agir que de diriger, — les a en fait peu à peu remplacés. Nos administrateurs se sont alors trouvés vis-à-vis des communes, et, leur activité continuant à s’exercer dans le même sens, ils ont empiété de plus en plus sur les attributions des conseils de notables, leur enlevant l’autorité et ne leur laissant que la responsabilité. En Cochinchine, où notre domination date de 1860, l’autorité des conseils n’existe plus.

En même temps, toutes les branches de nos services pesaient sur eux ; les notables, déjà responsables de la répartition et de la perception des impôts, furent également chargés de la police ; ils durent faire des enquêtes judiciaires, veiller à l’exécution des jugemens, à la contrebande, aux fraudes contre la régie de l’opium, de l’alcool et du sel ; ils assurèrent le recrutement des troupes indigènes, le service des prestations, etc. En somme, pendant qu’on les dépouillait de toute autorité sur leurs administrés que notre système d’individualisme protège jalousement, on chargeait leur responsabilité en qualité d’agens de tous les services qui compliquent l’administration française. Et ces fonctions, qui ne sont nullement rémunérées, les obligent à de fréquens déplacemens au chef-lieu où ils sont mandés successivement par chaque chef de service.

Le résultat, signalé par nos administrateurs, est déplorable : en Cochinchine, où le système fonctionne depuis le plus longtemps, le conseil des notables est déserté par tous les indigènes offrant quelque garantie et quelque surface ; comme il faut présenter à notre administration toujours la même façade, on improvise des conseils composés des plus misérables, payés par les véritables chefs de la commune, en sorte que nous avons devant nous des hommes de paille et qu’en dehors de nous, dans certaines communes, un conseil occulte se réunit et a seul un peu d’influence. Sur certains points, c’est l’anarchie ; sur d’autres, c’est l’organisation d’un pouvoir dont l’esprit et les actes nous échappent entièrement. Nous avons donc perdu toute influence réelle en méprisant l’antique institution de la commune et les cadres de la société annamite profondément hiérarchisée.

Somme toute, notre administration, dont l’institution seule