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rien encore auprès de l’ignorance des caractères qui se trahit à chaque pas.

Après avoir fait un franc éloge du roman national aux Etats-Unis, nous avons le droit de dire que rien n’est généralement plus médiocre que le même roman historique situé à l’étranger » Notre histoire est ou mal connue ou comprise à un point de vue qui nous déconcerte ; exemple, les jugemens sur Jeanne d’Arc et sur Napoléon. De plus, il y a l’extrême difficulté de pénétrer l’âme d’une autre race. Je parle pour nous comme pour nos voisins ; la meilleure partie des Trois Mousquetaires n’est pas celle qui se passe en Angleterre, ce qui excuse Walter Scott d’avoir tracé dans Quentin Durward une figure de Louis XI un peu sommaire ; mais il y a loin de ces imperfections aux erreurs dont fourmillent la plupart des romans écrits en langue anglaise d’après les formules d’Alexandre Dumas. Car, au fond, Alexandre Dumas est toujours, des deux côtés de l’Atlantique, un modèle envié, notamment par les dames qui se livrent au genre de littérature dont il usa et abusa. Seulement, on ne peut pas toujours dire d’elles ce que son fils disait de l’auteur de la Reine Margot : « Faut-il qu’il ait été fort en histoire pour la travestir ainsi ! »

Parcourez plutôt The Helmet of Navarre de miss Bertha Runkle[1], et vous verrez de quelle façon cette romancière, dont l’œuvre se vendit d’emblée à cent mille exemplaires, conçoit la Ligue, la figure de Henri IV, etc. Nous reconnaissons « le bon roi » au juron de « ventre saint-gris, » mais il semble douteux que Mayenne ait aussi souvent juré « nom de Dieu » et surtout « nom d’un chien. » Nous n’insisterons pas sur le vide de ce roman que remplit pourtant un perpétuel cliquetis de rapières et tous les imbroglios, toutes les catastrophes imaginables, accumulés en quatre jours, les quatre journées qui précédèrent le triomphe du panache blanc au prix d’une abjuration, et la fin du siège de Paris. L’extrême jeunesse de l’auteur et son intrépidité nous désarment. Certes, la petite fille à longue natte pendante que faisaient voir naguère les journaux illustrés, promet un conteur de plus à l’Amérique, un conteur plein d’entrain et possédant au suprême degré cette jolie qualité du go qui cesse d’en être une cependant si la plume alerte se débride et court jusqu’à s’emballer. Mais nous lui conseillons de ne

  1. Macmillan and C°, 1 vol.