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boucle d’argent assortie aux boucles de ses étroites culottes et aux autres boucles larges et plates qui ornent ses souliers, a l’air, autant qu’un homme peut l’avoir, d’un grave in-folio à fermoir, son costume paraissant fait pour sa personne et répondant à son équipement intérieur ; l’hôte enfin, en habit bleu à revers rouges, de robuste apparence, les cheveux poudrés, les traits empreints d’une expression volontaire et sérieuse, cette espèce de maturité un peu dure expliquant le succès d’un grand armateur, d’un prince marchand à qui ont réussi toutes les entreprises de terre et de mer. Deux traits suffisent à poser d’aplomb chacun d’eux.

Les nègres eux-mêmes, serviteurs de ces puissances locales, ont le même air d’importance bien nourrie que leurs maîtres, et au milieu de ce monde carrément assis dans une prospérité que pour sa part il n’a jamais connue, passe en saluant à droite, à gauche, comme un souverain pourrait le faire, avec une raideur qu’il met sur le compte de la crampe de bord, le pauvre et maigre capitaine Paul Jones, les dominant tous par la force de sa volonté, de sa résolution, du Hémon de la gloire qui s’agite impatiemment en lui : « Sur sa face de marin aux traits nettement accusés, dans ses yeux vifs qui ne semblaient pas observer les choses prochaines, mais regarder d’un long regard plein d’espoir vers l’horizon, il y avait une intense énergie. Il était petit et un peu voûté à force de vivre entre les ponts ; son épée, trop longue pour lui, battait le sol à mesure qu’il marchait. »

Tel qu’il est, usé déjà par l’adversité, Paul Jones aime autant que peut aimer un homme qui a l’ambition pour maîtresse tyrannique et jalouse, la plus noble, la plus attachante héroïne que nous ayons depuis longtemps rencontrée dans aucune littérature, Mary Hamilton, le type accompli de la Rebelle patriote, une personne de tête et de cœur. Mary se sert de l’empire qu’elle a sur le capitaine pour faire embarquer à bord du Ranger son jeune amoureux, le tory Wallingford et de la passion juvénile que Wallingford lui a vouée pour gagner celui-ci au parti de la liberté.

On s’étonne qu’une main féminine ait pu tisser la trame solide où s’entremêlent les aventures d’amour et de guerre prêtant au livre le double intérêt de l’histoire et de la psychologie. D’autre part une main purement virile aurait-elle su dessiner certains portraits de femmes : la grande dame tory qui tient tête