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grand le vieux Rhin et ses rives abruptes, l’auteur de la Knickerbocker History of New-York, environné des anciens souvenirs hollandais que retrace cette histoire humoristique, polissait les jolis récits rapportés de ses lointaines ambassades ; il y écrivit aussi la Vie de Washington, plus semblable à un roman qu’à une biographie proprement dite.

Les très intéressantes conférences que fit l’an dernier à la Sorbonne, sur la littérature américaine, M. le professeur Barrett Wendell, de Harvard, nous ont montré comment, au XVIIe siècle, cette littérature, qui n’était encore que la littérature anglaise émigrée, s’était bornée presque entièrement à la théologie, tandis qu’au XVIIIe, l’ère de l’indépendance, les Américains qui se sentaient encore anglais, bien que personnellement séparés de l’Angleterre, avaient déjà témoigné d’une certaine originalité avec des œuvres telles que celles de Franklin, par exemple, où les questions morales, philosophiques, religieuses sont revêtues d’un bon sens pratique tout spécial et où l’humour américain commence aussi à poindre ; mais la Bible, l’histoire, la politique, la loi étaient seules à occuper la plupart des esprits ; du roman il n’y a pas trace jusqu’à un certain Brockden Brown, cité par M. Wendell, mais qui probablement ne fut jamais lu hors de son pays. Il paraît avoir cultivé le genre fantastique, mystérieux et terrifiant à la manière d’Anne Radcliffe. Nous croyons cependant devoir nous borner aux œuvres de Cooper et de Washington Irving, en constatant que, si étrangers l’un à l’autre, ils eurent un trait en commun, l’aversion des puritains et des Yankees.

Quel champ superbe ils laissèrent par cela même à Nathaniel Hawthorne, le plus grand à beaucoup près des romanciers américains ! Quoique ses livres soient surtout remarquables par la psychologie subtile et profonde qu’analysa ici même à plusieurs reprises Emile Montégut[1], ce fils de la Nouvelle-Angleterre puritaine devrait passer pour l’un des maîtres du roman historique, n’eût-il fait qu’écrire la Lettre Rouge. Le chef-d’œuvre qui porte ce nom universellement célèbre, The Scarlet Letter, nous met en présence d’une société conduite par la crainte de Dieu, l’horreur du péché, le perpétuel examen de soi-même, au plus sombre et au plus impitoyable fanatisme. Hawthorne, qui

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1852 et du 1er août 1860.