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Marie Stuart et du Prétendant des événemens dignes d’intéresser le monde entier ; Cooper rencontra seulement au bord de lacs plus vastes et moins romantiques que le Loch Lomond les premiers habitans d’un pays neuf. Dès longtemps la critique a établi entre eux d’essentielles différences, mais ils ont en commun la richesse de l’imagination, l’inépuisable fécondité, le don d’émouvoir ou d’amuser sainement tous les âges par de pures et vigoureuses fictions qui demeureront populaires sans doute quand beaucoup de prétendus chefs-d’œuvre modernes auront vécu.

Si Cooper manque tout à fait de cet art consommé de l’expression et des nuances qui ne peut guère exister à l’aube d’une littérature, son contemporain Washington Irving, en contact fréquent avec l’Europe, a égalé les prosateurs anglais les plus célèbres du même temps. Tout le monde, des deux côtés de l’Atlantique, connaît son Sketch Book où est déjà porté à la perfection un genre cultivé ensuite de plus en plus aux États-Unis, la short story, la nouvelle. L’emprunt n’en fut pas fait à la mère patrie qui, avant l’avènement des Stevenson et des Kipling, avait surtout produit des romans en plusieurs volumes, auxquels on reproche trop de prolixité, quel que soit d’ailleurs leur mérite. C’est la France qui, sur le terrain de la nouvelle, rivalise avec l’Amérique ; on admettra même, sans trop de peine, croyons-nous, qu’elle la surpasse.

L’esprit de Washington Irving était plus raffiné qu’imaginatif, il glanait en voyage toute sorte de légendes et de traditions que, comme Rip Van Winkle et le Val dormant (Sleepy hollow), il plaça ensuite sur les bords de l’Hudson. Un rocher marque toujours, non loin de Tarrytown et de sa vieille église bâtie de briques rapportées de Hollande, l’endroit précis où Rip tomba dans son sommeil de vingt ans. Sunnyside qu’habita Washington Irving est voisin ; c’est un manoir de belle apparence au pignon recouvert d’un manteau de lierre sorti de la bouture que Walter Scott avait donnée à son propriétaire. Lierre du château d’Abbotsford transplanté au pays de Rip et qui est comme le symbole de l’union des deux littératures issues l’une de l’autre. La prose impeccable d’Irving est en effet celle du XVIIIe siècle anglais, plus froide, mais beaucoup plus soignée et plus académique que celle de Scott lui-même. Dans une maison de campagne toute britannique, sur un fleuve qui rappelle en