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SOLITUDE


Depuis que je me suis isolé, hors de tout,
Que j’ai fui les cités, les tumultes, les haines,
Mes erreurs d’autrefois me semblent si lointaines,
Que la Nature avec un sourire m’absout.

Comme retourne au toit natal le fils prodigue,
Sûr d’y trouver encore un accueil indulgent,
J’apporte aux champs anciens, sous des cheveux d’argent,
Un esprit accablé de fièvre et de fatigue.

Je penche avec douleur sur le miroir des eaux
Un front précocement flétri par les années,
Et ressuscite en vain mes chimères fanées,
Sur qui gémit le chêne et pleurent les roseaux.

Mais, sous le vaste azur où je me réfugie,
Parmi les fleurs et les brins d’herbe frémissans
Et les germes gonflés de sucs vierges, je sens
Mille effluves emplir ma poitrine élargie.

Car, maternellement vibre en nobles accords,
Parmi tout ce qui croît dans l’argile ou le sable,
La claire vision, la grâce intarissable
Qui renouvelle l’âme et rajeunit le corps.

O Nature, éternelle Amante, Béatrice
Radieuse, à laquelle en tremblant a tendu
Ses bras désespérés plus d’un Dante éperdu,
Des exils et des deuils sois la consolatrice.

Heureux qui, sur ton sein qu’on n’épuise jamais,
Retrempe sa vigueur usée au sein des villes.
Heureux qui règne en paix, loin des foules serviles,
Sur les halliers déserts et les graves sommets.