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xylographique, au contraire, ces monstres à tête de veau, à bec de coq, à grosses lèvres de chien sont nés de la peur. Le paysan qui avait rencontré le diable aux quatre chemins, le moine qui l’avait vu se glisser sous son lit, pouvaient le reconnaître, affirmer qu’il était bien tel.

Un livre qui a édifié toute l’Europe mérite d’être brièvement étudié. L’édition de Vérard s’ouvre par un beau préambule. L’auteur y exprime l’angoisse sans nom du mourant qui sent que tout l’abandonne. Ses sens eux-mêmes, par qui lui venait toute joie, « sont déjà clos et serrés par la très forte et horrible serrure de la mort. » Une sorte de vertige s’empare de l’âme. C’est l’heure trouble qu’attend le démon. Les chiens de l’enfer, qui rôdent autour du lit de mort, livrent au chrétien le plus furieux assaut qu’il ait jamais soutenu. Qu’il doute au moment suprême, qu’il désespère, qu’il blasphème, et l’âme est à l’ennemi. « O Vierge, protégez-le ! Une âme, a dit saint E. Bernard est plus précieuse que l’univers entier. Que le chrétien apprenne donc, pendant qu’il en est temps, à bien mourir et à sauver son âme. »

Le mourant est exposé à cinq tentations principales. Dieu, d’ailleurs, n’abandonnera pas le chrétien, et cinq fois il enverra son ange le réconforter.

La première tentation s’adresse à la foi. La vieille gravure nous montre le mourant dans son lit. Ses bras nus sont maigres comme ceux du sinistre compagnon qui conduit la danse macabre. Jésus-Christ et la Vierge sont à ses côtés, mais il ne les voit pas. Un démon lève une couverture derrière sa tête et lui cache le ciel : tant il faut peu de chose à l’homme pour oublier Dieu. Ses yeux, cependant, errent sur une vision que le démon lui envoie. Il croit apercevoir les païens à genoux devant leurs idoles, et une voix ironique lui souffle à l’oreille : « Ces gens-là voyaient au moins les dieux qu’ils adoraient, mais toi, tu crois ce que tu n’as pas vu, et ce que personne ne verra jamais. As-tu entendu dire qu’un mort soit revenu de là-bas pour porter témoignage et rassurer ta foi[1] ? »

Le pauvre moribond ne trouve rien à répondre. Mais voici qu’à la page suivante un ange de Dieu s’est abattu près de son lit. « N’écoute pas la parole de Satan, lui dit-il ; il ment depuis le commencement du monde. Sans doute tout n’est pas clair

  1. Nous résumons le plus brièvement possible le commentaire de l’édition de Vérard.