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inventé plus d’un épisode. La Mort fait tomber le maçon de son échafaudage. Elle s’embusque dans les bois avec le brigand et l’aide à assassiner sa victime. Mais elle est aussi à Montfaucon, près du gibet, quand le bourreau fait monter l’assassin à l’échelle.

Est-ce le manuscrit illustré du Mors de la pomme qui tomba sous les yeux d’Holbein, ou est-ce le livre d’Heures de Simon Vostre ? Il est difficile de le dire, — mais ce qui me paraît certain c’est qu’Holbein a connu un de nos originaux français. Sa grande danse macabre[1]offre en effet des ressemblances frappantes avec les deux livres que nous venons d’étudier. Elle commence par la création que suit bientôt la faute. C’est au moment où Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre que la Mort apparaît : ironique, elle régale les exilés d’un air de vielle. Puis les épisodes se déroulent en tableaux de genre admirables. Ces merveilles ne sont pas de notre sujet. Mais il importe de faire remarquer que plus d’une scène, imaginée par l’auteur du poème ou par le dessinateur de Simon Vostre, a été reprise par le grand artiste. Lui aussi nous montre la Mort venant saisir le pape au milieu de ses cardinaux et l’empereur au milieu de sa cour. Lui aussi met aux prises l’homme d’armes et la Mort. Chez lui aussi la Mort accompagne l’impératrice à la promenade, marche aux côtés du laboureur, arrache l’enfant à sa mère et à ses petits frères. Chez lui enfin, comme dans les Heures de Simon Vostre, la Mort est vaincue à la fin, puisque la dernière gravure représente le Jugement dernier, c’est-à-dire le triomphe de la vie éternelle.

Tant de ressemblances ne sauraient être l’effet du hasard. Holbein nous a donné, en somme, une magnifique illustration du Mors de la pomme. Sa conception de la danse macabre remonte jusque-là. Aux origines d’une des plus belles œuvres que la pensée de la Mort ait inspirées, se trouve donc notre poème français[2].


IV

La danse macabre illustre deux vérités : égalité des hommes devant la mort, soudaineté des coups que frappe la mort. Une

  1. Elle parut à Lyon en 1538 : elle est intitulée : les Simulacres de la Mort.
  2. Holbein subissait d’autre part l’influence de nos danses macabres qu’il connaissait par les danses macabres de Bâle.