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d’introduire les acteurs du drame. Le poète nous explique que la mort est née dans le paradis terrestre, au moment même où nos premiers parens commirent la faute. L’ange qui chassa Adam et Eve du paradis terrestre remit en même temps à la mort trois longues flèches et un bref où pendait le sceau de Dieu[1]. Dans ce bref, Dieu parle comme un souverain, et fait savoir à tous qu’il donne plein pouvoir à la Mort. C’est pourquoi la Mort, dont les parchemins sont en règle, commence tranquillement son œuvre. Elle est au côté de Caïn quand il tue son frère, et c’est elle qui frappe Abel. Puis elle s’en va à travers le monde, son bref d’une main, ses flèches de l’autre. L’ouvrage ne lui manque pas. Ici commence une espèce de danse macabre, beaucoup moins simple que l’autre et beaucoup moins bien réglée. Ce qui fait l’intérêt et la nouveauté de l’œuvre, c’est que les personnages ne sont pas isolés ; ils ne se présentent pas sous l’aspect d’abstractions sociales. La mort les frappe en pleine action, dans la rue, au milieu de la foule, à la table de famille. L’artiste qui a illustré l’œuvre a contribué pour une large part à créer cette danse macabre d’un nouveau genre, et il est souvent plus précis que le poète. Voici la Mort frappant le pape au milieu de ses cardinaux, et l’empereur au milieu de sa cour. Elle perce l’homme d’armes en pleine bataille, et la jeune fille dans sa chambre devant son miroir. Elle arrache l’enfant à sa mère, l’amante à l’amant.

La danse macabre se présente donc ici sous un aspect tout nouveau. Elle devient un prétexte à une série de tableaux de genre où la fantaisie de l’artiste peut se donner libre carrière.

Les manuscrits illustrés du Mors de la pomme ont certainement inspiré l’artiste qui composa, pour l’éditeur Simon Vostre, les jolies bordures des Heures de 1512. C’est la même conception de la danse macabre, et ce sont souvent les mêmes épisodes. La Mort, avec sa flèche, apparaît au moment où Adam et Eve sont chassés de l’Eden. Elle assiste au meurtre de Caïn. Plus loin, elle attaque l’homme d’armes au milieu de la bataille, la jeune fille dans sa chambre. Elle prend l’enfant au berceau malgré les cris de ses petits frères. Le thème une fois donné, les variations pouvaient être infinies. Aussi le dessinateur de Simon Vostre ne s’est-il pas cru obligé de copier servilement son modèle. Il a

  1. Bibl. nat., français 17 001. Des miniatures, non pas belles, mais fort curieuses, illustrent le texte.