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les danses macabres se sont répandues, au XVe siècle, dans toute l’Europe.

Revenons donc à la France pour y étudier les danses macabres qui subsistent encore. Elles durent être nombreuses autrefois. Des textes nous en signalent en divers endroits où elles n’ont laissé aucune trace : à Amiens, dans le cloître des Macchabées ; à Blois, sous les arcades du château ; à Dijon, dans le cloître de la Sainte-Chapelle. Que d’autres encore dont le souvenir ne s’est même pas conservé ! On a pu voir, en 1904, à l’exposition de Dusseldorf, un délicieux tableau de Simon Marmion, consacré à la légende de Saint-Bertin ; une des scènes représente un personnage dans un cimetière. Or, sous les arcades du cloître, on voit se dérouler une minuscule danse macabre. Dans quelle ville du nord de la France était l’original que Simon Marmion a copié ? Plusieurs de nos danses macabres ne sont plus qu’une ombre. Telles sont celles de l’église de Cherbourg, et celle de l’aître Saint-Maclou à Rouen.

Il en subsiste heureusement deux, celle de Kermaria et celle de la Chaise-Dieu, qui se sont un peu mieux conservées.

Celle de Kermaria (Côtes-du-Nord) a la poésie que communiquent à toute chose les vieilles églises de la Bretagne, mais elle ne veut pas être regardée de trop près. On y surprendrait bien des gaucheries. Le peintre, aussi naïf que son public, a cru qu’il rendrait les morts plus terribles en leur donnant de temps en temps un mufle de bête ou une tête de crapaud. L’œuvre paraît contemporaine de Charles VII. Les souliers à la poulaine et certains détails de costume lui assignent une date voisine de 1450 ou 1460. Elle est donc de beaucoup antérieure au livre de Guyot Marchant et ne saurait s’en inspirer. L’original dont elle dérive ne peut être que la danse macabre du cimetière des Innocens. Et, en effet, les personnages se succèdent exactement dans le même ordre, et les vers que nous lisons sous leurs pieds sont ceux-là mêmes qu’on lisait à Paris. Plusieurs petits détails pourraient laisser croire que le peintre de Kermaria connaissait l’original : le connétable a l’épée à la main, le laboureur porte la pioche sur l’épaule, le ménestrel laisse tomber son instrument de musique à ses pieds, toutes particularités qui se rencontrent chez Guyot Marchant et qui ne peuvent provenir que d’un original commun. Mais il n’en faut pas conclure que la peinture de Kermaria soit la vraie copie de la peinture des Innocens. Cette œuvre