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encore. On est étonné de trouver les vers de la danse macabre si durs et parfois si cruels. Le sermon d’autrefois est devenu une satire.

Au curé « qui mangeait les vivans et les morts » le poète annonce avec une joie féroce qu’il sera maintenant mangé des vers. L’abbé est grossièrement insulté : « Recommandez l’abbaye à Dieu, lui dit le mort, son compagnon, elle vous a fait gros et gras ; vous n’en pourrirez que mieux :


Le plus gras est premier pourry. »


Au bailli, le mort parle d’un ton menaçant. « Pour rendre compte de vos faits, dit-il, je vous ajourne au grand juge. » D’ordinaire le mort est moins tragique : il préfère railler. Il rit du bourgeois qui va abandonner ses rentes, du médecin qui n’a pas su se guérir, de l’astrologue qui cherchait sa destinée dans les étoiles, du grave chartreux qui va, lui aussi, entrer dans le branle :


Chartreux,…
Faites-vous valoir à la danse !


Ce terrible mort n’a un peu de pitié que pour le pauvre laboureur :


Laboureur qui en soing et peine
Avez vescu tout votre temps,

De mort devez être content,
Car de grand soucy vous délivre.


On sent un état social où les abus deviennent lourds, où les privilégiés commencent à être sévèrement jugés. La mort, heureusement, est égale pour tous, et remet tout dans l’ordre. Cette vieille société est pourtant solide. Elle semble bâtie pour l’éternité. Les vivans s’avancent suivant les lois d’une hiérarchie parfaite. En tête marche le pape, puis viennent l’empereur, le cardinal, le roi, le patriarche, le connétable, l’archevêque, le chevalier, l’évêque, l’écuyer, l’abbé, le bailli, etc. Une si belle ordonnance paraît alors immuable comme la pensée de Dieu. On remarquera qu’un laïque alterne toujours avec un clerc. Ce sont là les harmonies que l’on admire dans une société bien réglée : aux hommes de pensée répondent les hommes d’action.

Ces vivans que des cadavres entraînent en dansant ne dansent