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on avait dansé dans l’église même une danse religieuse fort semblable à un drame. Il la décrit ainsi : « Les acteurs représentaient tous les états depuis le sceptre jusqu’à la houlette. A chaque tour, il en sortait un, pour marquer que tout prenait fin, roi comme berger. Cette danse sans doute, ajoute-t-il, n’est autre que la fameuse danse macabre[1]. » Combien il est fâcheux que l’abbé Miette n’ait pas pris la peine de transcrire le document, au lieu de le résumer dans cette langue surannée et si peu précise ! Le doute pourtant n’est pas possible. A Caudebec, à la fin du XIVe siècle, on jouait la danse macabre dans l’église. Si les personnages parlaient, — ce qui est très vraisemblable, — ils devaient prononcer des paroles fort analogues à celles que nous donne le manuscrit de la Mazarine.

La mort jouait-elle son rôle à Caudebec ? Voyait-on un cadavre entrer dans la ronde, prendre le vivant par la main et l’entraîner vers le tombeau ? Voilà ce qu’il importerait de savoir. Car le trait de génie fut de mêler les morts aux vivans. Qui donc osa le premier réaliser ce cauchemar ? Aucun document ne nous l’apprend, mais nous pouvons presque le deviner. Plusieurs danses macabres peintes présentent, en effet, un détail singulier. A la Chaise-Dieu, à Bâle, à Strasbourg, on voit encore, ou l’on voyait jadis, un religieux parlant à des auditeurs groupés au pied de sa chaire. C’est le prologue du drame. Parfois une scène biblique accompagne ce premier tableau : Adam et Eve tentés par le serpent mangent le fruit défendu. Puis, la danse macabre se déroule.

Ces épisodes sont un trait de lumière. Il devient évident que la plus ancienne danse macabre fut l’illustration mimée d’un sermon sur la mort. Un moine mendiant, franciscain ou dominicain, imagina, pour frapper les esprits, de mettre en scène les grandes vérités qu’il annonçait. Il expliquait d’abord que la mort était entrée dans le monde par la désobéissance de nos premiers parens. Puis il montrait les effets de la malédiction divine. A son appel s’avançaient des figurans costumés en pape, en empereur, en roi, en évêque, en abbé, en soldat, en laboureur ; et, chaque fois, un être hideux surgissait, une sorte de momie enveloppée dans son linceul, qui prenait le vivant par la main et disparaissait avec lui. Bien réglée, la scène devait remuer

  1. Bibliothèque de Rouen, manuscrit 2215, Y. 39, f° 69.