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que la mort peut faire naître se présentaient à la fois à l’esprit du spectateur.


III

Dans le « Dit des morts et des trois vifs, » la mort se présente, sans doute, sous un aspect redoutable. Mais, au fond, elle est pleine de clémence. Elle parle rudement aux grands de ce monde, mais elle leur laisse un délai. Elle ne met pas sa main sèche sur leur épaule. Elle a été suscitée par Dieu pour émouvoir le pécheur, non pour le frapper.

Dans la Danse macabre, au contraire, toute idée de pitié disparaît.

Il faut montrer d’abord cette terrible Danse macabre dans son cadre ordinaire. Il y a à Rouen un vieux cimetière du XVIe siècle qu’on appelle l’aître Saint-Maclou. C’est un des lieux les plus émouvans de cette ville chargée de souvenirs. La terre consacrée, où dormirent tant de générations, où la moindre pluie découvrait jadis des milliers de petits cailloux blancs, — qui étaient des dents sorties de leurs alvéoles, — est maintenant le préau d’une école primaire. La gaieté de la verdure, les rondes des petites filles font avec tout ce qui vous entoure un contraste si fort qu’on se sent plus ému qu’on ne serait en présence d’une œuvre sublime. Jamais la vie et la mort n’ont été opposées avec tant de naïveté. Tout autour du cimetière règne un cloître que surmonte un charnier. C’est là que s’entassaient jadis les os des anciens morts dépossédés de leurs fosses par des morts nouveaux. Une frise en bois sculpté décore chacun des étages du cloître : les tibias, les vertèbres, les os du bassin, le cercueil, la pelle du fossoyeur, le bénitier du prêtre, la clochette de l’acolyte forment une guirlande funèbre. Chacune des colonnes du cloître est ornée d’un groupe en relief. On y reconnaît, ou plutôt on y devine les couples d’une danse macabre[1]. Un mort sorti du tombeau prend par la main le pape, l’empereur, le roi, l’évêque, le moine, le laboureur et les entraîne d’un pas rapide. Brièveté de la vie, incertitude du lendemain, néant de la puissance et de la gloire : voilà les grandes vérités que proclame cette danse macabre. De telles pensées,

  1. Il faut s’aider des anciens dessins de Langlois. Ils se trouvent dans son Essai historique sur la danse des morts. Rouen, 2 vol., 1851.