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tout examiner ; et quand je rabaissais ce qu’ils croyaient trop merveilleux, ma décision était reçue aussi agréablement que si j’avais parlé le plus conformément à leurs idées ; en un mot, je n’ai vu dans toutes ces personnes-là que candeur, droiture, simplicité et bonne foi.

D. — Qui est-ce qui préside à ces opérations ?

R. — Les deux premières fois, c’étaient des particuliers comme moi, gens d’honneur et en place. Les uns priaient, les autres agissaient. La troisième fois, c’était un ecclésiastique qui paraissait présider à tout.

D. — N’est-ce point un de ces abbés câlins, à tête penchée sur l’épaule ?

R. — Point du tout. C’est un ecclésiastique qui paraît bon sans façon, fort gai, et tout comme un autre. Il était l’un des plus empressés à me faire tout examiner et des plus attentifs à écouter docilement mes décisions.

D. — Mais je sais de très bonne part qu’il se mêle dans les convulsions des impostures et des friponneries. Il y en a qui en ont été convaincus et qui l’ont avoué.

R. — Cela peut être. Mais je suis très sûr qu’il n’y avait ni imposture, ni friponneries, ni supercherie dans ce que j’ai vu. Et quand il y aurait dans les convulsions mille fois plus que vous ne dites, cela n’empêcherait que tout ce que j’ai vu, et ce qui y ressemble ne soit très réel, très vrai, et très extraordinaire.

D. — Que pensez-vous maintenant du personnage que je dois faire au sujet de cet événement ?

R. — Puisque vous m’honorez assez de votre confiance pour me demander mon avis sur un point si important, je vous le dirai avec candeur et simplicité.

D. — Je vous en prie.

R. — Le personnage le plus raisonnable et le plus sage que vous ayez à faire, le seul même qui le soit, c’est celui de Gamaliel. Si cette œuvre est de Dieu, vous aurez beau faire, vous ne viendrez jamais à bout de la détruire. Si elle est des hommes, elle se dissipera d’elle-même.

LE MAGISTRAT. — C’est aussi le plan que je me suis proposé, et je suis charmé que vous en pensiez comme moi. Je me souviens qu’il y a vingt ou trente ans il s’éleva en Angleterre une troupe de gens qui s’assemblaient aux portes de Londres, pour y faire de prétendus prodiges. On délibéra dans le Gouvernement si on les réprimerait. Les plus sages furent d’avis de les mépriser et de jeter sur eux du ridicule. Il fit son effet, et en peu de temps, cette cabale se dissipa. Je crois qu’il en faut faire autant ici. J’ai même dit que je leur donnerais volontiers une salle à la foire.

M. DUBOURG. — Un tel propos est bon pour la plaisanterie ; mais permettez-moi de vous représenter que l’événement dont il s’agit est trop sérieux et trop important pour en plaisanter. Mais, sans parler de foire, ni de rien de semblable, laissez-leur une honnête liberté. Alors cet événement sera vu de tout ce qu’il y a de gens sages et éclairés à Paris ; médecins, philosophes, académiciens, savans, gens du monde et de la cour s’empresseront de les voir, et ce sera le moyen le plus infaillible pour découvrir l’imposture et la supercherie, s’il y en a. Elles ne pourront se soustraire à tant d’yeux habiles et clairvoyans ; si, au contraire vous jetez dessus un vernis de persécution, les convulsionnaires se cacheront, ils refuseront de se laisser voir pour ne pas s’exposer, et quantité d’honnêtes, gens s’abstiendront de