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comptes, sans qu’on ait pu découvrir d’où était venu cet accident. Mais l’on a vu avec étonnement que l’appartement de M. Arouet, trésorier, qui tenait au bâtiment embrasé, n’a reçu aucun dommage. Une convulsionnaire, pendant ce feu, répandait dans l’appartement de ce Monsieur de la terre du tombeau de M. de Paris. »

Le rôtisseur de petites filles dut avoir bien peur ce jour-là, et l’on se demande ce que la convulsionnaire susnommée pouvait bien faire dans cet appartement durant la nuit du samedi 26 octobre, entre deux et trois heures du matin. Barbier se serait demandé si les salamandres ne savent pas allumer le feu, mais Barbier était une mauvaise langue. Il est plus que probable que la convulsionnaire habitait dans le voisinage, qu’elle put accourir au premier cri d’alarme, et qu’elle pénétra dans l’appartement d’Arouet à la faveur du désordre. Elle avait, dit l’annotateur de Montgeron, prédit expressément que l’appartement du Receveur ne recevrait aucun dommage, et elle communiquait ainsi à son ami le précieux privilège de l’incombustibilité ; elle savait l’art de préserver les maisons du feu.

Que sont, après ce qu’on vient de lire, les menus faits de convulsion, les extases, les macérations, les discours prophétiques, les prières et autres choses de ce genre ? Il est donc à peine nécessaire d’ajouter ce que relaie le Journal manuscrit de Gabrielle Moler[1], rédigé d’ordinaire par l’écuyer Archambault ; voici pourtant ce qu’on y trouve de plu6 caractéristique au sujet de M. Arouet, le Frère à la bague, ainsi nommé sans doute parce qu’il avait au doigt un anneau d’une grande richesse.

« Ce fut le 14 ou 15 mai 1735 que M. Archambault mena M. Arouet, dit le Frère à la bague (ce M. Arouet était le frère de ce malheureux Voltaire), chez la sœur Gabrielle. Le 6 juin, elle a commencé un jeûne pour le Frère à la bague, où elle ne prenait par jour qu’un petit pain de sa façon de la grosseur d’une noisette, et autant d’eau qu’il en pouvait tenir dans la coquille de cette amande, c’est ce qui a composé sa nourriture pendant huit jours ; et son lit, toujours le plancher ; elle a fait d’autres pénitences pour ce Monsieur… Le 2 juillet, elle s’est fait acheter deux livres de pain bis pour passer les quatre semaines de son jeûne, qui doit commencer le 4 juillet sans qu’il soit interrompu par le dimanche… Elle a envoyé pendant huit jours un

  1. Née le 10 mars 1722, la petite Moler ou Mouler était un des vingt enfans d’un juif converti et d’une catholique.