Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/634

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La petite fille ainsi rôtie, — elle demeurait exposée au feu, lisons-nous à la page suivante « le temps nécessaire pour faire rôtir une pièce de mouton ou de veau, » la « sœur » Marie Sonnet, était surnommée la Salamandre, et l’on conviendra qu’elle n’avait pas volé ce joli surnom. Une autre convulsionnaire, la petite amie qu’Armand alla voir un jour non pas à l’Opéra, mais à l’hôpital, faisait mieux encore : elle s’endormait sur le brasier ; et quand elle se réveillait, elle prenait avec la main un charbon ardent qu’elle avalait « pour se rafraîchir, » puis elle se mettait à chanter d’une voix harmonieuse comme font les cantatrices qui viennent de s’éclaircir la voix en avalant un œuf cru.

Faut-il s’étonner après cela si Armand Arouet, devenu incombustible lui-même, ne périt pas, en octobre 1737, dans le terrible incendie qui dévora la Chambre des comptes, et qui ne put être éteint qu’après trois jours, après avoir anéanti d’admirables archives et causé la mort de plusieurs personnes ? On peut voir dans les mémoires du temps et en particulier dans le Journal de l’avocat Barbier le détail de cette catastrophe ; Barbier insinue que les jansénistes pourraient bien avoir allumé cet incendie pour venger leur ami Carré de Montgeron, incarcéré à la Bastille puis interné dans une ville du Midi. « M. Arouet, dit-il pour expliquer la chose et se justifier d’avoir émis un pareil soupçon, M. Arouet demeure dans l’emplacement de la Chambre. Il est grand janséniste ; il est très honnête homme, mais cela ne fréquente que des jansénistes ; et il y a tel prêtre qu’il regarde comme un saint et qui est un cerveau brûlé, capable d’une telle méchanceté. Pour moi, j’aurais fait arrêter tous ceux qui demeurent et logent dans l’enceinte de la Chambre… » Arouet ne fut ni arrêté, ni inquiété, ni révoqué, ni mis en demeure de vendre sa charge, et néanmoins il y avait, comme on va le voir, bien du « jansénisme » dans son affaire. Voici en effet ce que disent les Notes historiques à propos de cet incendie[1] :

« Pendant les deux mois que M. de Montgeron fut à la Bastille (en août et septembre 1737), des magistrats firent brûler dans les fossés de cette prison royale la première édition de son ouvrage. À cette occasion, plusieurs convulsionnaires dirent publiquement : Ils ont brûlé les papiers de Dieu, Dieu brûlera les leurs. Ce fut vers ce temps que le feu prit à la Chambre des

  1. Cf. La Vérité des miracles, t. III, p. 346, note de l’éditeur, Montgeron étant alors incarcéré à Valence.